Chapitre II: La naissance d'un symbole

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Note: Voilà le second chapitre où vous en découvrirez plus sur notre petite Blanche. Bonne lecture!

Chapitre II: La naissance d’un symbole

Je sens une multitude de regards se tourner vers moi, je les vois me sonder avec colère ou avec une autre expression que je ne reconnais pas. Serait-ce une pointe de tristesse que je perçois dans les yeux de cet homme là? Et de la compassion dans ceux de cette femme un peu plus loin derrière? Tout ceci me parait absurde, je n’ai jamais été appréciée par ces gens. Tandis que j’avance d’un pas chancelant, la foule s’écarte obligeamment et me dégage silencieusement un passage vers l’estrade. Mais à peine je tente d’en faire un second que je me sens tirée en arrière. Je me retourne surprise et je constate que je n’ai toujours pas lâché la main de ma voisine, m’agrippant inconsciemment à cette vie que je n’aurai bientôt plus. Je desserre lentement mes doigts rendus raides par la tension, mais à l’ instant où je défais complètement ma prise, ses doigts m’enlacent avec plus de vigueur. J’observe sans comprendre la jeune fille qui refuse de me lâcher la main, de m’abandonner à mon sort, à cette mort que tant ont voulu m’infliger.

Et soudain je comprends cette lueur que j’ai perçue dans la grande majorité des regards: le désespoir et la révolte. Je suis leur dernier témoin de leur gloire passée, la preuve qu’ils fussent un jour des personnes libres et de haut prestige. En disparaissant dans l’arène, c’est leur semblant de bonheur que j’amène avec moi, c’est leur passé et leur avenir qui vont mourir. Comme le geai moqueur, je ne suis qu’un symbole, c’est tout.  Pourtant les larmes qui perlent au coin des yeux de ma voisine dont le visage ne me rappelle rien, ébranlent mes convictions. Si elle avait bénéficié d’une haute position au temps de mon grand-père, je me serais sûrement souvenue d’elle. Mais là, rien du tout, pas même une sensation de déjà vu. C’est vraisemblablement la première fois que je la rencontre, cette pauvre âme qui semble si meurtrie. Que perdrait-elle de si important avec ma disparition? J’entends des quolibets rageurs dirigés vers les rebelles, une rumeur hargneuse commence à s’élever. Cette manifestation me laisse perplexe. Serais-je passée à côté d’autre chose?

 Je n’ai pas le temps d’interroger ma voisine que deux soldats m’arrachent violemment à sa prise et m'entraînent brutalement vers l’estrade sous une huée de plus en plus virulente. Un coup de feu et tout redevient calme et tremblant. Abrutie par ce qui vient de se passer, je n’entends pas le dernier nom de l’ultime garçon à nous rejoindre, je le vois seulement vaguement s’approcher à son tour. Un dernier mot d’Effie et nous sommes tous rapidement entraînés à l’intérieur du grand cirque dans un mouvement ordonné d’uniformes gris impeccables, séparés, et chacun dirigé au pas de course vers de petites loges qui devaient être probablement réservées aux artistes se produisant sur scène.

 Deux gardes à l’air sévère me font entrer dans une pièce exiguë avec pour seul mobilier un canapé poussiéreux aux accoudoirs rongés par le temps, disposé de tel façon que celui qui s‘y installe ait la porte en ligne de mire. Je m’y assois tandis que les hommes referment la porte derrière moi, trouvant un certain réconfort à rester dans un endroit balayé de tout fard ou de tout signe de guerre. Les coussins sont confortables et ces quelques évènements m’ont secoué, il ne faudrait pas grand-chose pour que le sommeil m’emporte et me laisse m‘échapper. Sauf que dès que je ferme les yeux, des images terrifiantes me secouent et me ramènent entre les quatre murs de ma prison improvisée. Les minutes s’étirent, le temps passe et toujours rien. Que suis-je censée attendre ici? Est-ce notre moment pour dire adieu à nos familles? Si c’est le cas, je ne devrai pas m’étonner de ne voir personne, après tout, je n’ai plus de famille, du moins libre. Cette constatation me laisse un vague à l’âme et je ne peux m’empêcher de faire le bilan de ma vie. Il est désastreux. Tout ceux à qui j’aurais pu manquer son déjà mort. Au moins, je leur épargnerai le chagrin de me voir disparaître.

Les Enfants du CapitoleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant