Chapitre 3

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Le plan de ma mère est simple. Ne plus donner signe de vie, à personne. Juste sortir la veille de mon départ faire une course puis pouf ! Prendre ma voiture et l'abandonner quelque part avec la clé sur le contact. Revenir discrètement à la maison et puis enfin le lendemain ma mère m'emmènerait au verger pour partir. Ensuite elle irait à la gendarmerie pour signaler ma disparition. Son plan est rodé, elle a dû longuement y réfléchir et je lui fais confiance. Le plus dur sera pour elle.

**

Deux jours plus tard, je rentre discrètement vers 3h du matin après être passé dans une supérette acheter des bonbons, du lait et un paquet de croquettes pour chat. Ensuite j'ai abandonné ma voiture dans un petit bout de campagne en espérant qu'au lever du jour, elle se ferait voler avec mon sac à main à l'intérieur contenant mes papiers, ainsi que le sac de courses que j'ai fais. J’éteins mon téléphone afin de limiter localisation. Je suppose que si je le rallume chez les dieux, on ne viendra pas me chercher jusque là. J'ai dû faire au moins 15 kilomètres à pieds à travers les champs et les forêts pour rentrer chez moi.

- Personne ne t'a vue ?

- Non je ne pense pas.

J'enlève ma capuche et ouvre mon sweat gris foncé. Heureusement que j'avais pris une tenue de rechange pour qu'on ne se doute de rien.

- Un thé ? Me demande-t-elle.

J'acquiesce et la suit dans la cuisine, elle prépare le thé pendant que je sors des gâteaux, comme-ci de rien n'était. Installées à la table de la cuisine nous parlons de demain, le départ et tout ce qui allait s'en suivre. Elle me demande comment je me sens, je lui retourne la question après lui avoir répondu que je suis triste et stressé. Elle me répond la même chose.

Bien installer dans mon lit, pour ma dernière nuit ici, je fais le point sur ma vie, j'ai mes amis, mon copain, à qui je ne peux dire adieu. Le dernier message que je lui ai envoyé est : " A demain, j'ai hâte, je t'aime". Mais il n'y aura pas de demain, en tout cas plus pour nous. A cette pensée mes yeux piquent. Puis je regarde mes affaires entassés au pied de mon lit, deux sacs et une valise, voilà c'est tout. J'inspecte ma chambre comme-ci je la découvrais pour la première fois, des murs lavande, un parquet gris clair. Mon bureau blanc sur lequel sont posés mes livres et mon ordinateur. Je regarde les photos et autres souvenirs accrochés au mur, posés sur les étagères, je ne peux me retenir de fondre en larmes. Je ne veux pas partir, je ne veux pas quitter ma mère, quitter Greg, quitter mes amis, quitter ma vie ici ! Une partie de moi me dit que ce n'est qu'une très mauvaise blague menée par mes amis ou ma mère, que demain au verger tout le monde sera là pour me dire "Surprise ! Ah t'y a cru !", mais l'autre partie de moi me dit, dans quel but faire cela ? Pourquoi ma mère me mentirait-elle ? Je suis perdu et sur toutes ces questions et émotions je m'endors.

**

J'entends frapper doucement à ma porte de chambre, ma mère me signifie que c'est l'heure.
Je prends une bonne douche et je déjeune. Nous partons discrètement, le fait que la voiture de ma mère soit dans le garage est très pratique. Je m'allonge à l'arrière, par terre. Je suis toute tordu mais bon, s'il le faut. Quelques kilomètres plus tard, je peux enfin passer à l'avant. Il n'y a rien d'autre que des champs et des forêts à perte de vue. Puis la voiture s'engage dans un chemin sinueux jusqu'à s'arrêter devant une vieille barrière reliée à un grillage, ou du moins ce qu'il en reste.

- Prends tes affaires, c'est ici. Me dit ma mère en sortant de la voiture.

Je m'exécute en essayant de contrôler le stress et l'appréhension qui monte en moi. Je suis ma mère entre les arbres fleuris, l'endroit est calme et apaisant, j'ai presque envie de m'arrêter pour m'asseoir dans l'herbe et profiter du soleil qui se lève mais non, je ne peux pas.

Après avoir zigzagué entre les arbres, nous arrivons devant trois rochers qui forment plus ou moins un triangle.

- Voilà, c'est là. Dit ma mère tout aussi stressée que moi.

- Et ?

- Et on attend.

Et c'est ce que nous faisons. Je pose mes sacs à terre et m'assois, j'ai envie de parler à ma mère mais mon cœur me sert et m'en empêche. Enfin elle brise le silence.

- Comment tu te sens ?

- Bof. Avoué- je.

- Hum, moi aussi.

Elle croise ses bras sur sa poitrine et regarde le ciel.

- Tu es déjà revenu ici ? Demandé-je.

Elle me regarde, plongé probablement dans ses pensées, elle semble calme et résignée, elle sait que de toute façon c'est comme ça, qu'elle ne peut rien y faire.

- Quelques fois oui, je ne sais pas vraiment ce que je venais chercher ici mais ça m'a parfois aidé. Je suis revenu ici pendant ma grossesse, puis quand tu es née, j'espérais qu'il puisse nous voir, qu'il entende, qu'il sache. Puis quelques autres fois aussi mais peu importe, je ne l'ai jamais revu.

- Tu appréhendes ?

- Oui mais que veux-tu, on a pas le choix. J'espère juste que tout ira au mieux pour toi.

Elle me sourit et je lui rends son sourire. Nous restons silencieuses encore un peu. Je ferme les yeux, essayant de me détendre en laissant le soleil réchauffer ma peau, le doux vent souffler dans mes cheveux, quand la terre gronde et me fait sursauter. Je vois le sol s'écrouler entre les rochers et je me redresse en m'écartant. Un trou vient de se former, les parois faites de roches et de terres sont sombres et des fissures rouge-orangé viennent les entailler, c'est comme dans la description de ma mère, un trou volcanique. Je me penche pour examiner la profondeur, j'ai un mouvement de recul le temps de m'adapter à cette vision d'un trou sans fond. On n'y voit pas le bout. Une lumière jaillit du fond et trois personnes apparaissent devant nous.
Je n'ai nul mal à les reconnaître en vue de ce que m'a raconté ma mère. Zeus, beau, grand, imposant. Perséphone, magnifique avec ses longs cheveux ondulés. Et Hadès, exactement comme sur la photo. S'il n'était pas mon père, moi aussi je me laisserai séduire par cet homme. Je comprend ma mère, aussi je me sens mal pour elle, ce doit être le pire jour de sa vie, revoir l'homme qu'elle a aimé et qui l'a enfanté, la femme de se dernier et savoir qu'on va être séparées.

Hadès me dévisage puis s'avance vers moi. Mon cœur s'emballe, une boule se forme au fond de ma gorge et un nœud au fond de mon ventre.

- Katell, je suis si heureux de te voir enfin.

Ces mots me font monter les larmes aux yeux. Je ne sais comment réagir devant cet inconnu que j'ai toujours voulu connaître, ni comment l'appeler. Comment ai-je envie de l'appeler ? Papa ? Hadès ? Monsieur ?

- Moi aussi... Mais je... Maman... Arrivé-je difficilement à articuler.

- Je sais, ça va aller ne t'inquiète pas.

Je regarde ma mère, elle nous regarde aussi, intensément.

- Il va falloir partir maintenant. Dit Zeus, de manière autoritaire mais douce.

Je ramasse mes affaires, Hadès prend ma valise. Puis j'embrasse ma mère en pleurant, j'ai peur pour elle, pour la suite.

- Je reviendrai je te le promets. Lui chuchoté-je.

- Je t'aime ma puce. Répondit-elle.

- Je t'aime aussi.

Un dernier baiser et je m'écarte, rejoignant Hadès. Face au trou je me sens paralysé.

- Prête ? Me demande-t-il.

Je le regarde sans répondre. Il hoche la tête, sourit et me prend la main.

- Fais moi confiance, d'accord ?

- Oui.

- Alors on saute.

Et il m'entraîne dans les profondeurs où le vide nous aspire.

La fille d'HadèsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant