Or un jour qu'il avait cherché à fuir son chagrin de la sorte - un beau jour de printemps où la douceur de l'air et les chants des oiseaux auraient dû l'apaiser - il galopa, galopa, galopa, puis trotta tant et si bien que lorsqu'enfin il mit sa monture fourbue au pas, il se trouvait dans un coin du pays qu'il ne connaissait pas. Il y avait bien des hêtres, des tilleuls et des érables - les mêmes essences qui poussaient dans le vaste parc qui s'étendait autour du château, et dans les avenues de la capitale. Mais ceux-là étaient beaucoup plus trapus, moins élancés; et ils se mêlaient à des arbres qu'il n'avait jamais vus de sa vie - sinon sur les illustrations de vieilles flores qu'il consultait, enfant, dans la haute bibliothèque du palais, à l'époque où l'enseignait un vieux précepteur féru de botanique. Des arbres étranges, avec des feuilles étroites et pointues, des écorces rousses et crevassées qui exhalaient un parfum enivrant.
Le prince avait mis pied à terre, pour mieux les observer; rênes en mains, il marcha quelques minutes encore sur le sentier, suivi de son fidèle destrier. Le bois bientôt s'ouvrit sur une petite clairière que traversait un ruisseau aux eaux claires, où ils se désaltérèrent. Puis il dessella son cheval pour le laisser brouter et se reposer à son aise, étendit son manteau sur l'herbe fraîche et s'y allongea. Les yeux clos, il écouta de toutes ses oreilles pour tenter de capter un bruit familier - les sonnailles d'un troupeau, la rumeur d'un village. Mais il n'entendit rien, sinon le bruissement léger des feuilles et le chant des oiseaux. Il inspira à pleins poumons pour tenter de capter une odeur familière - odeur de fumée, senteurs d'écurie, effluves de cuisine. Mais il ne sentit rien, hormis le parfum des arbres à l'écorce rousse. Et il s'endormit dans la tiédeur de l'après-midi.
A son réveil, le vent s'était levé. Rouvrant les yeux, il constata que de gros nuages noirs se rapprochaient rapidement; d'une minute à l'autre, ils allaient escamoter le soleil. Il bondit sur ses pieds, siffla son destrier, sella et brida rapidement puis sauta sur le dos de sa monture. Il n'avait aucune idée de l'endroit où il se trouvait - à vrai dire, il n'aurait pas même su dire s'il était à l'orient ou à l'occident du royaume, ou même déjà hors de ses frontières -, mais il ne s'en inquiétait guère: son cheval saurait retrouver le chemin du retour.
C'était un fort beau cheval, avec une robe grise semée de mouchetures brunes, une tête fine au profil concave et de grands yeux noirs qui semblaient bordés de khôl. Il n'était pas très grand, mais il avait une allure déliée et énergique; il était vif, affectueux et sans malice, et il n'avait peur de rien, sinon de l'orage.
Ils redescendaient le sentier au petit trot, dans le bois qui semblait s'étendre à perte de vue. lI n'y eut aucun signe avant-coureur, pas un éclair de chaleur, ni même une première goutte de pluie. La foudre s'abattit juste à côté d'eux, sur un de ces arbres parfumés. Le cheval se cabra, le prince vida les étriers, partit en vol plané tandis que sa monture fusait dans un galop éperdu, puis il s'abattit au pied d'un hêtre, tête la première. Et tout devint noir.
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Fiction généraleUne amoureuse très XIXe, née par erreur - ou par cruauté du destin - un ou deux siècles trop tard, et ses démêlés avec l'époque actuelle. Ce roman commence par un conte: celui qu'est en train d'écrire la narratrice, Julia, la quarantaine...