Lundi matin. J'arrive à la rédaction aux aurores. Seule la fenêtre de la cuisine d'Eric est éclairée; le reste du bâtiment est encore plongé dans le noir, les bureaux sont vides.
C'est la dernière ligne droite avant l'impression du numéro de la quinzaine, jeudi. Il me reste encore des petites nouvelles à traiter, et puis il faudra sans doute chercher quelques images de remplacement, au fur et à mesure que les pages reviendront de la maquette - et relire lesdites pages, bien sûr. Apparemment, ce sera une édition de routine: pas de pigiste retardataire à tirer du lit, à sermonner et à pister jusqu'à livraison de son article - j'aurais sinon trouvé mon bureau semé de post-it; pas non plus d'images ni de textes perdus en route, à la suite d'une fausse manoeuvre à l'édition: ma messagerie est vide, à l'exception d'une demi-douzaine de pages à relire.
Je vais gentiment pouvoir embrayer sur l'édition suivante. En essayant de commencer par ce que j'ai le moins envie de faire: reprendre ce fichu conte.
(...)
On recommença à lui présenter des jeunes filles. Il était souhaitable qu'un futur roi se marie.
Toutes les prétendantes étaient jolies, élégantes, bien nées, et chacune avait quelque talent particulier. Plus d'une, venue à l'heure du thé, fut retenue à l'heure du souper. Le prince prenait plaisir à leur conversation. Mais s'il se disait tout-à-fait charmé et les remerciait de leur visite, à l'heure où elles prenaient place dans le carrosse qui devait les ramener chez elles, il ne faisait rien pour revoir aucune d'entre elles.
(...)
Ouais. Du vernis à ongles sur une voiture rouillée. C'est mal parti pour un changement en profondeur.
Je vais faire un essai en gardant les paragraphes suivants tels quels et en édulcorant juste la fin.
(...)
Lorsqu'un soir un messager, croyant bien faire, lui remit à elle un flacon de remède et une lettre qui venaient de la montagne lointaine, elle ne put s'empêcher de parcourir la missive, et entra dans une colère folle. Elle tempêta, hurla, et exigea que son époux cesse toute relation avec cette paysanne.
Le roi promit. Et il finit par tenir sa promesse: il avait le sens du devoir, mais par-dessus tout il avait horreur des cris, des reproches et des lamentions. Il cessa donc de répondre aux lettres de la montagne. Mais les jours passèrent, et les semaines, et les mois, et des lettres continuèrent d'arriver. Alors un jour la reine, après avoir tempêté et hurlé plus fort que jamais, rendit visite à son oncle, le ministre de l'intérieur.
Il n'y eut plus de lettres. Personne ne sut jamais ce qui s'était passé, là-haut. Sans doute avait-elle fait un faux pas, et le glacier avait gardé son corps.
Plusieurs saisons ont passé depuis lors. C'est à nouveau l'été. La reine est toujours ravissante, et d'une douceur constante. Les après-midi, elle promène dans le parc du château un ventre rebondi, tandis qu'une domestique roule près d'elle la poussette où dort le prince premier-né.
Le vieux roi se réjouit de le faire bientôt sauter sur ses genoux.
Son fil, de l'avis général, est un souverain exemplaire. On lui trouve cependant l'air mélancolique. C'est que le malheureux est souvent sujet à de terribles maux de tête, contre lesquels les meilleurs médecins du royaume échouent à trouver un remède. Dans ces moments-là, il reste enfermé dans sa chambre, à l'abri du bruit, des parfums et des rires.
A ceux qui s'inquiètent de sa santé, la reine explique qu'il se repose.
Dans la pénombre de sa chambre, il regarde un tableau, un petit portrait, et il pleure.
Je mets le point final.
Et je fonds moi aussi en larmes.
Sur ce, entre Nathalie.
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General FictionUne amoureuse très XIXe, née par erreur - ou par cruauté du destin - un ou deux siècles trop tard, et ses démêlés avec l'époque actuelle. Ce roman commence par un conte: celui qu'est en train d'écrire la narratrice, Julia, la quarantaine...