De retour dans mon bureau, je passe d'abord quelques minutes devant le texte de mon conte. Pour la forme. Je ne m'attendais pas à trouver une quelconque inspiration, et de fait rien qui ressemble de près ou de loin à un début d'idée ne se manifeste.
Je duplique le fichier, renomme le second "conte pr lou" , remplace les derniers paragraphes par !!! fin satisfaisante en cours d'élaboration !!!, enregistre et l'envoie à Louise, avec pour message "dernier dessin: texte pas encore définitif mais prévois une scène de mariage, le chef y tient. Je t'appelle demain".
Ensuite j'ouvre le dossier "jardin", puis le sous-dossier "alain", puis le sous-sous-dossier 36/18, celui du prochain numéro. Avec un soupir, je replonge dans les textes que j'ai entrepris de retravailler avant la pause de midi.
Sous le titre "Merveilleuse diversité des asters", mon auteur jardinier préféré se limite à différencier les deux espèces les plus connues, Aster novi-belgii et Aster novae-angliae, faisant l'impasse sur leurs multiples cousines - dont certaines sont pourtant bien plus intéressantes pour un jardinier. Omet de signaler au passage que ces plantes sont désormais classés comme Symphyotrichum par la botanique officielle - qui, c'est vrai, a le chic pour inventer des choses imprononçables. Loue les qualités des unes pour déconseiller les autres - et je suis à peu près sûre qu'il avait écrit exactement l'inverse, trois ou quatre ans plus tôt.
Le texte principal a dix lignes de trop, il en manque trois au premier encadré, les quatre explicatifs des photos légendées, censés être de longueur équivalente, vont du simple au double. On note vingt-cinq fois le mot "aster" dans la page, belgii est orthographié deux fois avec un seul i et trois fois avec deux, et l'à peu-près totale absence d'intérêt de l'ensemble ne pourrait être sauvée que par des images résolument belles, si possible originales, et dont la légende devra offrir ce que le reste de la page n'offre pas. L'enfance de l'art.
Je coupe le paragraphe relatif aux souvenirs d'enfance dans le jardin de la grand-mère, où il n'y avait hélas pas d'asters, information qui ne transcende pas fondamentalement le texte de tête. Puis je brode un peu autour des préférences en matière de sols et des meilleures périodes de plantation, pour allonger l'encadré pratique. Je remplace ensuite une partie des "asters" par "ces plantes", "fines étoiles", "belles américaines" et autres formulations creuses mais utiles, puis j'ouvre le dossier des photos. Pour constater que ma première impression, ce matin, était juste: Alain est tout de même meilleur rédacteur que photographe. Des huit images fournies, quatre sont très bizarrement cadrées, deux résolument floues. Toutes les fleurs représentées sont bleu-mauve. Je garde deux photos, et crée un dossier "non utilisées" où je fais glisser les autres. Puis je pars à la pêche, en commençant par les archives du journal, avant de passer aux sites des photothèques auxquelles nous sommes abonnés.
J'ai trouvé ce qu'il me fallait et je m'apprête à passer les images sur Photoshop quand Eric s'encadre dans la porte de mon bureau.
- Je pars faire quelques courses en ville. Il est cinq heures et quart... N'oublie pas l'heure de ton train, fait-il avec un clin d'oeil.
Lorsque son sms arrive, le dossier de la page jardin est dans la boîte de l'édition, mais je me bagarre avec le portrait d'une jeune auteur de bandes dessinées. Mercier a certes le sens de la formule, mais son texte dégouline autant de complaisance que de commentaires machistes, et il est une fois et demie trop long.
- Il est six heures et quart... N'oublie pas l'heure de ton train, dit le sms.
Je parviens en fait tout juste à prendre le suivant, après avoir envoyé le texte modifié à Nath, avec la mention "A relire et passer à la maquette demain jeudi sans faute, stpl". Il est plus de vingt heures quand je descends du train à ma station. A cette heure-là, dans mon arrière-pays, il n'y a plus de bus. Je dois donc rentrer à pied, mais ce n'est pas vraiment un problème: il fait doux, la balade n'est pas si longue, et de toute façon je n'ai rien de particulier à faire de la soirée.
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le prince charmant est sur www.rencontres.ch
Narrativa generaleUne amoureuse très XIXe, née par erreur - ou par cruauté du destin - un ou deux siècles trop tard, et ses démêlés avec l'époque actuelle. Ce roman commence par un conte: celui qu'est en train d'écrire la narratrice, Julia, la quarantaine...