lettre à TOI

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Ce soir, je prends ma valise. J'y range des bouquins, des vêtements et je plis bagages.

Je m'en vais.

Ne me demandez pas où, tout me va. N'importe où, tant que c'est loin d'ici.

J'étouffe vous comprenez ? J'ai l'impression qu'on me frappe la tête contre le mur à chaques secondes de ma vie.
Comme si j'étais inutile.
Un déchet.

J'ai l'impression de ne rien ressentir. D'avoir les nerfs toujours à vif. La famille, les amis, l'amour, tout ça me surpasse. Ou plutôt ne m'affecte plus. J'ose croire que ça changera mais j'y place plus trop d'espoir.

Ah l'espoir ! Quel fin mot ! Tomber puis se relever. C'est un fil qu'on ne voit, qui nous tire vers l'avant, vers l'avenir. Cela, c'est ce que dirait un poète qui vient de boire du vin au chaud, dans son salon après avoir chauffer une femme.

Mais moi, je suis une désespérée. J'ai coupé ce fil à mes treize ans. L'espoir, l'avenir, ça demande trop d'efforts, et l'amour, l'amitié, la vie, trop de délicatesse. Je n'ai ni la délicatesse ni l'ambition, ni l'espoir, ni la force.

Alors je me casse d'ici avant d'avoir envie de sauter par une fenêtre ou un pont, ou pire de me pendre.
Je supporte plus le son, la vue, l'odeur, de ces gamins qui hurlent pour avoir une feuille afin de dessiner. De ce petit frère qui pleure parce qu'il n'a pas de PS4. De cette mère qui m'engueule parce que je suis indifférente, horrible. De ce père qui cache ce qu'il pense mais je vois dans son regard la décéption que je ne sois pas comme mon ainée. De ces amis qui pleurent, sourient, rient et vivent comme ils le peuvent. De ce garçon qui ne répond pas à mes messages parce qu'il a ses raisons, mais je me suis tellement attachée que je pense trop à lui.
De tout et trop de choses.

J'ai l'impression d'avoir un fusil braqué constamment vers moi. Et ça me révolte. Parce qu'ils m'aiment. Que je suis censée les aimer. Qu'ils ne me feront jamais de mal. 'Fin, ça c'est ce que je pensais avant, car ils m'ont fait du mal, involontairement, certes mais le mal est fait.

À l'heure à laquelle tu liras cette lettre je devrais être déjà très loin.
Ne me cherche pas.
Je veux me libérer de ce fardeau pour quelques temps, mois  ou années, peu importe. Peut être qu'à mon retour, j'entendrai la voix de mon frère. La cloche de cette église. Le rire de ma nièce. Le "On t'aime" de mes parents. Et mon "Je vous aime aussi". Peut être que je reverrai les images de Kikuchi accrochés à mon mur. Les poèmes que j'avais l'habitude de scotcher un peu partout. Le sourire de tout le monde. Sa voix qui me fait rire. Et éventuellement un message de ce garçon. Si tout n'a pas changé. Si tout n'a pas déjà changé.

Comprends moi. Je ne suis pas aussi forte pour tout subir. Ni trop forte pour libérer ma tension juste avec des mots, de la peinture, de la musique. Il m'en faut plus. Beaucoup plus.
Et pour cela, je fugue. On ne me hait pas, mais je vous manquerai un ou deux jours, un ou deux mois tout au plus. Puisvous m'oublierez, j'en suis sure. Je ne vous suis pas idispensable, loin de là. À quoi pourrait servir une fille qui s'enferme toute la journée dans sa chambre à lire des livres ? Rien. Alors gardez l'hypocrisie du moment bien enfouie parce que je m'en fiche de ce que vous pensez. Je suis fatiguée de faire semblant d'être heureuse, épanouie, amusée. Je suis lasse de jouer un rôle jour et nuit.
À présent, tout ira mieux. Je vivrai peut être un moment de joie. Ou pas. Mais je sais que cette pause me fera du bien.

Alors hurlez, pleurez mais si vous apprenez que je suis morte, ne vous étonnez pas. Un accident, une crise cardiaque, une overdose, tout cela arrive si vite. De plus, je ne cherchais que cela : mourir.
Et même si la perspective de mourir m'effrayait, je l'ai longtemps désirée. À un tel point, qu'un jour, elle m'a dit qu'elle ne viendra pas parce que je n'aurai rien à perdre si elle venait. Comme quoi, même elle sait que je suis une brisée, désespérée.

Continue de briller, toi. Tu es fais pour briller, pour étinceler même à travers la brume. Toi, tu dois croire en la vie. Parce qu'elle t'a faite de belles choses.
Alors hurle, cris, chante, écris, ris, ton bonheur et ton amour. Un jour viendra où tu comprendras ce que j'ai 'ai vécu. Et tu sauras, un peu tard, certes, mais comme le dit le vieux dicton : "Mieux vaut tard que jamais". Tu sauras que la vie n'est jamais facile. Surtout pour les vieux cons que nous sommes. Et que la mort est trop chère, trop unique, trop luxuriante, trop noire et dangereuse pour nous écouter et nous toucher sans nous piquer trop profondément.
Alors va, je ne vis point depuis longtemps.
Va, je continue d'exister de mon côté. Et c'est mieux là où je suis.

Fleur brisée.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant