Je roulais très vite, trop vite. Je sentais la voiture perdre de l'adhérence dans le virage de la route de campagne qui me ramenait sur Lillers. Dans quelques mètres, je verrai le pont qui surplombait le canal menant à Béthune, je l'apercevais d'ailleurs. J'essayais de contrôler le dérapage de ma voiture, un vieux modèle de la marque au lion, qui ne disposait pas de tout le progrès technologique des voitures modernes. Soudain, comme un éclair dans mon esprit, je regrettais d'avoir choisi celle là pour aller à cette foutue réunion des anciens élèves de mon lycée de Saint-Omer. Je n'avais pas envie d'y aller, ce fut ma compagne qui m'y a obligé. Je détestais voir ceux qui ont partagé ma scolarité baver sur moi en apprenant que j'exerçais le métier dont ils rêvaient tous, chercheur en génétique. Ils me dévisageaient toujours comme-ci j'étais une espèce d'alien, tout en se demandant par quel miracle le "cancre" de la classe eut ce poste. Pour dire la vérité, je n'en savais rien moi-même, il m'a suffit de faire quelques tests de logique, un rapide entretien et me voilà en blouse blanche devant une paillasse, à comparer des caryotypes. Plus d'un me tuerait pour avoir ma place, je le vois dans leurs yeux, cette petite lueur qui s'allumait lorsqu'on parlait de nos situations, et cette mâchoire qui touchait leur poitrine, ils débordaient d'envie. Certains d'entre eux avaient réussis, travaillaient aussi dans la recherche mais rien d'aussi passionnant que le génome humain. La seconde raison pour laquelle je détestais ces réunion était l'alcool. Depuis que j'ai rencontré Camélia, une fille de mon premier labo, avec qui je me suis directement bien entendu et qui a les plus beaux yeux marrons du monde, je ne buvais quasiment plus. Non, en réalité j'avais arrêté toutes ces bêtises deux ans après l'avoir connu. Dans cette classe de faux jetons, j'étais celui qui buvais le plus, à l'internat, ma chambrée était celle qui faisait la fête chaque soirs, et parfois, quand je me plongeais dans mon passé, comme c'était le cas en ce moment, je me demandais comment j'avais pu avoir mon diplôme. J'organisais des parties de cartes arrosées tous les soirs avec des camardes, bon nombre d'entre eux ont tourné, passant une soirée, deux voir trois, puis abandonnaient, épuisés par les cours en plus des fêtes. Même notre surveillant de dortoir finit par me lâcher, alors que lui pouvait dormir toute la journée. Nous tenions principalement à la vodka et au whisky, jouant à la belote ou au rami, personne ne quittait la chambre sans dangereusement tituber, moi-même allant me coucher au petit matin, regagnant mon lit en rampent et me réveillant quelques heurs plus tard en ayant oublier une partie de la nuit passée. À la fin du lycée, l'alcool était un vrai problème. Je trouvais un poste d'assistant laborantin que je gardais précisément neuf mois, puis me fit renvoyer pour "faute professionnelle". À la vérité, j'allais travailler presque quotidiennement alcoolisé et en retard. Mais qu'importe à l'époque, j'avais travaillé assez pour toucher une allocation de Pôle-emploi, et me contentais de survivre grâce à celle-ci. Je ne cache pas qu'une grande partie de cette argent partait dans ma consommation de boisson dont le luxe c'était fortement réduit. Fini les whiskys quinze ans d'âge, place aux vins de basse qualité et aux bières bon marché. Lorsque j'ai connu Camélia, j'étais ivre tous les jours de la semaine et deux fois plus le weekend. Bien sûr je sauvais les apparences devant elle, et lorsque nous nous voyons grâce à la webcam, j'étais presque toujours sobre. Je trouvais en elle une certaine motivation mais elle fut longue à se déclarer elle dut même m'y aider. J'étais amoureux d'elle bien avant d'avoir conscience que la boisson gâchait ma vie. Un an après mon licenciement, nous nous installâmes ensemble, dans mon appartement.