La voiture dérapait toujours, je n'avais maintenant plus aucun contrôle sur elle, j'avais testé le frein, l'accélérateur, mais rien n'avait d'effet sur sa glissade. Je voyais le pont se rapprocher de secondes en secondes, un pont composé de grands cerceaux métalliques de chaque côté, je me disais qu'avec un peu de chance, la voiture irait s'écraser contre le montant de l'un de ces arcs de cercle. Je voyais tout cela alors que j'étais toujours dans mes pensées, je pensais à Camélia, qui m'attendait impatiemment à la maison, étant sûre que je n'avais pas bu une goutte à cette désagréable soirée, et me mis à regretter ces trois whiskys consommés alors que mes anciens camarades me racontaient leur petites vies de rat de laboratoire. J'avais résisté à l'envie d'un verre tant que je pus, mais ce genre de soirées était vraiment trop ennuyante pour ne boire que du Coca-cola. Deux heures après mon arrivée, une dose de scotch fut ajoutée à la boisson gazeuse, trente minutes plus tard, il n'y avait plus aucune bulle dans le verre que je bus cul-sec, à la demande de quelques personnes présentes, "à l'ancienne" chantonnaient-elles. Après dix ans d'abstinence, l'alcool me fit mal à l'estomac, puis au crâne. Je bu le dernier verre calmement puis m'esquivais discrètement de ce rassemblement de crétins. J'avais promis à Camélia d'être de retour rapidement, elle m'attendait sûrement pour dîner depuis une bonne heure. Comme je regrettais ces trois verres maintenant ! Sans eux, j'aurais pu parti une heure plus tôt, au bas mot et serais déjà attablé avec la femme que j'aime. Je ne savais pas si c'était au fait d'avoir revu mes anciens de ma classe où à leurs conversations rébarbatives mais je ne pus m'empêcher de faire le clown lorsqu'ils me le demandèrent, l'être humain est faible. Retrouver durant quelques instants ma célébrité d'antan me fit plaisir, mais cette satisfaction eut rapidement un goût amer. Je sens encore les brûlures de l'alcool dans mon estomac alors que le long tête à queue de ma voiture n'en finissait pas. Le pont était maintenant sur ma gauche, si j'ouvrais la vitre j'aurais pu le toucher, j'allais m'écraser contre lui, je le savais, échappant ainsi à une mort certaine car je ne savais pas nager, je suis aquaphobe depuis toujours, je n'ai jamais voulu apprendre ne serait-ce qu'à faire la planche. Je soupirais, j'étais sauvé, je me fichais totalement de la voiture, j'en possédais une autre, récente, un modèle qui aurait émit un son désagréable lorsque l'aiguille du compteur aurait passé le quatre-vingt-dix, me forçant ainsi à ralentir et échapper à cet accident. Seulement voilà, quitte à se replonger dans son passé, autant le faire jusqu'au bout je pris donc ma vieille voiture dénuée de tous gadgets électroniques. Le choc fut violent, je sentais ma portière qui voulait rentrer dans l'habitacle, la vitre explosa, envoyant sur moi une nuée de verre Sécurit qui me fit de multiples entailles au bras gauche, ma tête heurta violemment la poignée située au niveau du toit, j'en voyais trente-six chandelles et me dis sur le coup que j'aurais droit à une belle bosse. Je sentais que la voiture se repliait sur elle-même, voulant décrire un C puis s'immobilisa, moteur calant. Une fois certain de ne plus être en mouvement, je fis un rapide état des lieux. J'allais bien si on ne tenait pas compte de mon bras en sang et ma tête douloureuse. La ceinture ne se détachait pas, j'avais beau appuyer sur le poussoir rien ne se passait, elle devait être bloquée à cause du choc. Il fallait que je me dégage de cette voiture, dans ma tête, j'imaginais des scénarios plus fous les uns que les autres, où la voiture se remettait en mouvement et finissait à l'eau, où le pont cédait à cause du choc sur le montant. Je sentais mon ventre se nouer, et j'avais beau appuyer comme un dingue sur ce fichu bouton, rien ne bougeait. J'avais beau me dire de garder mon calme, je sentais la panique gagner du terrain, s'emparer de moi, de façon incontrôlable. Je me mis à me débattre dans tous les sens, me battais pour faire passer la ceinture par dessus ma tête mais le ressort qui était coincé lui aussi ne faisait que me serrer un peu plus la taille à chaque nouvel essai, ce qui n'arrangeait en rien mes douleurs abdominales. Cette fois ça y est, je sens les crocs de la folie mordre dans mon cerveau, je me débattais encore plus fort, de manière anarchique mais réussis tout de même à faire passer cette foutue ceinture par dessus ma tête. Je rampai jusqu'à la portière du côté passager, me faisant mal avec le levier de vitesse au passage. Elle aussi refusa de s'ouvrir, je la frappais du coude de toutes mes forces, mais elle ne bougea pas. Je pivotais sans réfléchir, libéra une jambe de sous le volant, et donna un violent coup de pied dans la vitre, qui, elle aussi, finit en morceaux mais sur la chaussée. Je me ruais par cette nouvelle ouverture, m'infligeant ainsi de nouvelles coupures. Dans mon esprit, je ne pensais qu'à Camélia, préparant le dîner, ou était-elle déjà en train d'attendre mon retour, devant la télévision ou son ordinateur? Mon crâne, premier sorti de l'épave qu'était devenue ma Peugeot, heurta violemment le bitume du pont, en craquant, ce qui n'avait rien de rassurant, un bruit de cuisse de poulet que l'on brise résonna à l'intérieur de ma tête, je perdis connaissance.