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L'éclat de la pièce m'aveugla lorsque l'on tira la couverture d'un coup sec, je tentai de fermer les yeux mais en vain. Je vis un visage fantomatique, flou, me regarder et dire à quelqu'un d'autre que j'étais encore jeune puis je fus à nouveau déplacé de façon brutale sur une nouvelle couche. Ma vue commençait à s'habituer tout doucement aux néons fluorescents et le visage penché sur le mien gagnait en netteté. Il s'agissait d'un homme, jeune, brun, coiffé d'un bonnet vert, en tissus, comme un chirurgien, ce qui m'inspira un moment de calme : je n'étais pas mort, on allait simplement m'opérer. Est-ce que ma moelle épinière était touchée? Je me souviens du son désagréable de craquement lorsque ma tête heurta le sol du pont, c'était pour cette raison que je n'arrivais pas à bouger mes membres, j'étais paralysé. Il n'y avait pas de panique dans son regard vert, ni autour de moi, ce qui me fit penser que je ne devais pas souffrir de quelconque hémorragie interne. Il y eut un claquement sec hors de la portée de mon champ visuel, une voix féminine que je n'avais jamais entendu de ma vie déclara bien fort:

"Votre client est Ernest Frafour, quarante et un ans depuis peu, ancien alcoolique mais pas si ancien que ça, il est à zéro neuf d'après le labo. Sa compagne arrive pour le voir et l'identifier mais ses papiers semblent bons. "

Nouveau claquement, ce qui devait indiqué que la femme à la voix sèche et robotisée du genre répondeur Orange venait de quitter la pièce. J'analysais ce que Voix-de-répondeur venait de dire, pas si ancien, ça faisait quand même dix ans que je ne buvais plus et elle me jette la pierre pour trois whiskys, quel monde ! Mes papiers sont bons, évidemment, je n'allais pas prendre mon faux passeport suisse pour une soirée à dix kilomètres de chez moi, puis, mon esprit décrypta la partie la plus importante : "ma compagne arrive" Camélia !!! À penser que la femme que j'aimais le plus au monde allait me voir dans cet état me tétanisa l'esprit. De plus, les médecins n'hésiteraient pas à lui dire que j'avais bu, définitivement, j'avais ces soirées d'anciens élèves en horreur. 

Ma compagne avait emménager chez moi à l'époque où je buvais beaucoup, et tous les jours, je n'avais dans mon cercle d'amis que des alcooliques profiteurs, le genre d'amis qui venaient à l'improviste et déclaraient subitement et sans gêne:

"Tiens si tu payais ton verre Nénesse?"

Et moi, en bon copain crétin, je ne refusais jamais. Au début, ma compagne essayait de s'interposer poliment, demandait, sur le ton de la conversation pourquoi ça ne serait pas le copain qui payerait son verre pour changer, mais elle se lassa vite en se heurtant aux réponses préprogrammées des gens du coin : "j'ai pas de sous" était la plus fréquente. La seconde était tout aussi célèbre : "j'ai pas mon porte-monnaie" mais arrivait toutefois en seconde position. Principalement, on pouvait boire du cinq au quinze quand on touchait les minima sociaux, après, il suffisait de connaître quelqu'un de plus fortuné. Moi j'avais la chance de toucher Pôle-emploi à l'époque, c'est-à-dire un peu plus qu'eux et surtout le premier de chaque mois. Alors, du premier au cinq c'était le défilé. Quelques mois après son arrivée, Camélia en eut plus qu'assez, elle partit toute une après-midi je ne sais où, j'étais entrain de boire avec l'un de ces amis de passage, je ne la remarquais même pas sortir, mais lorsque je me réveillai en début de soirée, j'étais seul chez moi. J'essayai de l'appeler sur son téléphone portable, elle ne répondit pas. Je lui envoyai donc un message qui lui aussi resta sans réponse. Je commençais à être sérieusement anxieux lorsqu'elle rentra, la nuit tombée. Je voulais la prendre immédiatement dans mes bras, voir si elle allait bien mais elle me stoppa en hurlant:

"NE ME TOUCHE PAS !!"

Surpris, je m'arrêtai net et la regardai tout hébété, elle se recroquevilla dans le coin de notre couloir tapissé en jaune pastel, derrière la porte, plus furieuse qu'apeurée. 

"Il va falloir faire un choix Ernest ! Soit tu bois, soit tu es avec moi ! Si tu continues de boire, je repars chez mes parents."

Jamais une phrase ne me fit un tel effet, celui d'avoir avalé une boule de bowling qui faisait tomber toutes mes entrailles, depuis l'estomac jusqu'aux jambes. Jamais je n'aurais penser qu'elle m'impose un tel choix, mais je n'hésitais pas un instant avant de choisir. J'ai eut du mal à trouver les mots pour lui répondre, je lui sortis simplement "toi". Avec le recul je me dis que j'aurais du lui dire à quel point je l'aimais et combien je tenais à elle mais déjà à cette époque Camélia le savait bien. 

PROMESSEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant