Chapitre 23

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Je suis plongée au cœur d'une forêt aux couleurs si vives qu'elles sont semblables à celles des images de synthèse. Les arbres se tiennent droits et sont plats tels des décors en carton. Une brise légère fait virevolter mes cheveux, dansant comme des flammes tandis que je me promène au milieu des buissons au feuillage touffu, des hautes herbes qui chatouillent mes jambes et des fleurs aux pétales blancs et ronds. Un parfum d'encre et de vieux papier flotte dans l'air. Une senteur de boulons rouillés s'y ajoute et me rappelle l'odeur des mots que j'ai achetés au Quartier littéraire. Des nymphes, simplement vêtues de voiles, courent d'un pas fluide et léger sur les sentiers. Elles sont à la poursuite d'un homme à la silhouette élancée qui disparaît au fin fond de la forêt. Accompagnée des autres élèves de ma classe, je les suis, en pensant que j'assiste à un véritable miracle.


Mes camarades s'arrêtent subitement sur notre route.


-Que faites-vous ? je leur crie, d'une voix encore remplie par la joie que je ne peux contenir en cet instant merveilleux.


-Nous ne pouvons pas aller plus loin, m'explique Liam d'un air désolé.


Je n'écoute à peine ses paroles. Même si je sais déjà ce qu'il se produira, je voudrais voir si les nymphes réussissent à attraper Narcisse. Je voudrais les accompagner dans leur course folle et entendre les petits cris qui jaillissent de leurs lèvres rosées. Mais, alors que les nymphes disparaissent et que je me heurte à un portail blanc qui m'empêche de continuer ma route, je comprends que Liam avait raison.


Une locomotive sortie de nulle part s'arrête brusquement devant moi. Elle ressemble à celle qui m'avait transportée dans les rues de la ville, mais ce n'est pas le même chauffeur qui la conduit. L'homme a un visage carré, avec des yeux au regard froid et dure qui s'accorde avec sa bouche droite, cachée derrière son épaisse moustache brune. Il fixe silencieusement mes camarades, qui montent dans la locomotive et m'invitent à les rejoindre. Je m'installe au fond du véhicule et observe le paysage entièrement composé de blanc qui défile derrière la vitre.


-Page deux ! grommelle faiblement le chauffeur en arrêtant la locomotive devant une forêt identique à celle de toute à l'heure.



Il grogne lorsque nous le bousculons pour bondir hors de la locomotive. Nous reprenons notre course à travers la forêt. Les filles rient, les cheveux au vent. Les garçons se cramponnent à elle en les tirant par les manches. Et moi ? Personne ne fait attention à moi. Qu'importe. Je peux découvrir avec bonheur le goût de la liberté. Il fond doucement sur ma langue et je peux en sentir la saveur. C'est agréable.


A grandes enjambées, je saute par-dessus les troncs d'arbres coupés qui gisent au milieu des feuilles mortes. Quelques fois, il se peut que les chênes soient teintés de la même couleur que les images d'un vieux films des années quarante. Amy m'explique que c'est quand le lecteur imagine mal certaines choses et oublie de se représenter les lieux dans sa tête.

A d'autres moments, une femme surgit de derrière les buissons, une casserole à la main, et crie "A table !". Là, c'est lorsque la personne est interrompue dans sa lecture par l'heure du dîner.


Il n'est pas évident de suivre les nymphes.. Elles changent constamment de place.


-Vas-tu te décider, lecteur ? gronde Amy en regardant le ciel.


-Nous sommes tombés sur quelqu'un qui manque d'imagination, remarque Jean en reprenant son souffle.


Moi, je pense justement que ce lecteur se représente plutôt bien la forêt de Narcisse dans son esprit. Le lieu où nous nous trouvons est presque identique à celui que j'ai observé dans la grande loupe de la Syxel.


Des nymphes disparaissent petit à petit. Le lecteur n'arrive pas à se décider sur le nombre de femmes qui poursuit Narcisse. Au début de notre poursuite, elle étaient seize. Maintenant, j'en compte quatre.


J'arrive à la hauteur de l'une d'elle. Elle est moins rapide que les autres et ses jambes semblent la lâcher sous l'effort. Elle tourne la tête vers moi. Me vois-t-elle ? Non, je ne crois pas. Son regard est perdu dans le vague. Ses cheveux sont blonds et ses mèches décorées de fleurs mauves tombent délicatement devant ses yeux. J'y vois un regard empli de tristesse. Étrangement, je me reconnais dedans. Est-ce le mien ? La Syxel a peut-être échangé mes yeux, ce jour-là colorés d'un vert de jade, avec des yeux bleu ciel ?


La femme se détourne de moi et disparaît. Je ne peux oublier son regard froid et sombre. Ai-je réellement des yeux si tristes ou avais-je réussi à avoir ce regard pour incarner mon personnage ?



Une nouvelle barrière se glisse devant nous. Nous remontons dans la locomotive. Le chauffeur nous dépose à chaque nouvelle page de l'histoire.


-Page trois ! crie-il d'une voix rauque et bourrue.


-Page quatre ! annonce l'homme en marmonnant dans sa barbe.


-Page cinq ! dit-il avec agacement, comme s'il souhaitait que sa journée de travail se termine.


La dernière scène se déroule dans la sixième page. Narcisse est assis sur la rive. Il règne dans la forêt un silence troublant. Seuls les chuchotements plaintifs du beau Narcisse le troublent et lui donnent une atmosphère très sombre. Mes camarades et moi sommes tapis derrière les buissons. De là où je suis, je peux distinguer les beaux yeux bleus d'Écho qui observent Narcisse avec tristesse derrière des branches.


De temps en temps, la bouche de Narcisse disparaît mystérieusement et se remet à la place de ses yeux. Je ne prête pas attention à ses cheveux blonds qui virent au brun et écoute attentivement les dernières paroles du jeune homme.


-Adieu, soupire-t-il.


-Adieu, soupire Écho.


Nous frappons dans nos mains pour applaudir.


Et Mélodie fait claquer une dernière fois ses paumes afin que nous retrouvions notre forêt à nous.


***

Bonjour à tous !

Comment allez-vous ?

Pendant les vacances, je mets plusieurs fois "Si j'étais..." en pause pour que vous sachiez que je suis absente. Cela fait plutôt longtemps que je n'ai pas posté de chapitre et je vais essayer d'en écrire deux cette semaine avant de partir à la mer la semaine prochaine... Excusez-moi pour l'attente !

N'hésitez pas à m'écrire un petit commentaire sur ce vingt-troisième chapitre ! ;)

Bisous et bonne vacances ! :*

Clémence

Si j'étais... [EN PAUSE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant