Chapitre 31 : Délivrance

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   Thalia



   C'est la voix de Kayla qui me ramène à la réalité. Je sursaute, ne pensant pas m'être assoupie. Mon cœur s'emballe et je tente désespérément de reprendre ma respiration.

   - Hé, tout va bien, c'est moi, murmure Kayla en mettant les mains en avant.

   - Désolée, ai-je soupiré. Combien de temps j'ai dormi ?

   - Une heure, répond mon amie. Zach ne devrait plus tarder. Jessica est allée faire le tour de la maison pour voir si tout va bien et Brad vient de s'endormir. Il tousse toujours autant, mais... ça semble se calmer un peu quand il dort.

   En effet, Brad est allongé sur le canapé, sur le coté, pris de plusieurs quintes de toux assez brèves. Je me relève péniblement en m'adossant au mur.

   - Je suis crevée, ai-je avoué en me frottant le visage et sentant mes jambes flageolantes. Je pense que je vais aller me trouver une chambre et me débarbouiller un peu en attendant Zach.

   - Vas-y, je veilles sur Brad.

   - Ça caille, ce soir ! s'exclame Jessica en entrant en trombe dans la maison et en refermant presque aussitôt la porte. RAS autour de la maison pour le moment.

   - Cool, sourit Kayla. J'espère que Zach va bien...

   - Il ne devrait plus tarder, je pense.

   La gueule de bois, je me dirige vers les escaliers pour les gravir avec un effort considérable.

   - Ça va, Thalia ? s'inquiète Kayla.

   Pour toute réponse, je hoche péniblement la tête et traverse le long couloir du haut à la recherche de la salle de bain. La porte entrouverte du milieu donne sur un lavabo et une cabine de douche de taille moyenne. J'allume la lumière pour éviter de me casser la figure et m'appuie sur le lavabo. Je ne me sentais pas comme ça avant de m'être endormie. Le contre-coup est lourd, je suis déprimée et j'ai juste envie de fermer les yeux et plonger dans un magnifique rêve où je suis entourée de fées au milieu d'une forêt multicolore.

   J'ouvre le robinet d'eau froide et m'asperge la figure. Je relève ensuite la tête pour m'observer dans le miroir et contemple l'horreur qui se présente devant moi. J'ai les cheveux gras et en bataille, remplis de nœuds. Je ne sais pas tout ce qu'il y a dedans, peut-être du sang séché, de la terre et de la poussière mélangées à de la sueur... Ma peau est sèche et toute abîmée. Autant dire que je n'ai pas la tête aux beaux jours...

   Avec un soupire de frustration, je ferme le robinet et sort de la salle de bain. Je suis mieux réveillée, mais mon mal de crâne devenu constant bourdonne toujours autant dans ma tête. Je me traîne dans le couloir et décide de m'arrêter devant la seule porte fermée entièrement. Puis je frappe - pas trop fort - deux fois en collant mon oreille à la porte.

   - Angela ? ai-je appelée. Angela, vous êtes là ?

   Après une courte hésitation, je décide d'ouvrir la porte en tâchant de ne pas faire trop de bruit. Dans la pénombre environnante, j'aperçois une masse sombre allongée sur le lit deux places, sur le dos, les mains le long du corps. Elle semble s'être endormie malgré la situation. Je m'apprête à revenir sur mes pas lorsque mon regard se pose sur la petite table de nuit à côté du lit. Le tiroir du haut est ouvert.

   Curieuse comme je suis, je me dirige à pas lents vers le lit pour voir le visage de la jeune femme éclairé pas la lueur de la lune. Je constate alors que ses yeux sont ouverts et scrutent le plafond sans ciller.

   - Vous n'arrivez pas dormir ? ai-je lâché d'une voix douce.

   Pas de réponse, ni même de mouvement. Je fronce les sourcils malgré moi et me rapproche lentement de la jeune femme.

   - Angela ?

   Toujours rien, si ce n'est ce regard vide qui fixe le plafond. C'est alors que je comprends. Je porte mon index et mon majeur à son cou au niveau de sa carotide, mais je ne ressens aucun battement de cœur. Je soupire à nouveau et ferme les yeux de la pauvre femme. En m'appuyant sur le côté du lit, ma main plonge dans un liquide chaud. Le contact me fait sursauter, puis je remarque l'énorme contraste entre la lumière blanche de la lune et la paume de ma main devenue rouge foncé.

   Un stylo jonche le sol et je faillis tomber en marchant dessus. En louchant sur le sang encore frais, je remarque qu'Angela tient quelque chose dans sa main. Je la lui ouvre avec douceur et découvre une photo à moitié recouverte de sang et un petit bout de papier où trois mots ont été griffonné à la hâte : "Pardonnez-moi, Seigneur".

   Je regarde la photo où je reconnais instantanément Angela sur la droite, toute souriante avec sa fille dans ses bras et un homme du même âge qu'elle sur la gauche. Je réprime un sourire en contemplant cette image, présentant une famille heureuse et épanouie. Angela était rayonnante et semblait si heureuse... Ça me fait mal de la voir ainsi allongée sur le lit, sans vie, les veines tranchées à l'aide d'un petit opinel certainement récupéré dans le tiroir.

   Je ne peux éviter de penser à mon avenir. Suis-je susceptible de finir comme Angela ? Si la situation déjà désespérée dans laquelle nous nous trouvons dégénère davantage, je doute que je puisse tenir encore longtemps. Mais capituler ne serait pas la meilleure solution. Angela était une femme fragile. Perdre son fiancé ou son mari a dû lui faire un choc. Quand on aime réellement quelqu'un, les gens ont beau vous dire que le temps guérit les blessures, vous ne vous en remettez pas. Angela s'est donc raccrochée à tout ce qu'il lui restait : sa fille. Là, elle n'avait plus rien. Et elle ne souhaitait visiblement pas continuer à vivre seule, en deuil jusqu'à la fin de sa vie.

   Soudain, un bruit d'objet cassé retentit à l'étage du dessous. Puis les cris de panique de Kayla et Jessica parviennent jusqu'à mes oreilles. Je pose la photo sur le lit et fonce vers les escaliers, pensant tout d'abord à une intrusion dans la maison. Mais non, à la place, dans le salon, je vois les deux filles qui s'évertuent à tenir Brad en place sur le canapé. Le garçon convulse tandis qu'une mousse blanchâtre ressort abondamment de sa bouche.


Bloodshed Tome 2 : SacrificeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant