Chapitre 17 : Le monde bascule

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      Ça fait déjà dix heures que je conduis, et je commence à ressentir la fatigue. On a fait le plus gros du trajet, mais on est encore loin d'être arrivés. Nous sommes obligés de nous arrêter fréquemment pour le carburant, cela ne m'étonnerait pas qu'il y ait une fuite au niveau du réservoir...

   Jusque là, aucun Damné en vue. Angela s'est endormi peu après notre départ avec le pick up. Brad discute tranquillement avec Kayla malgré son affaiblissement croissant. Finn quant à lui, bidouille une petite tablette numérique trouvée sous le siège passager où Thalia fixe la route sans rien dire. Elle était dans une sacoche noire, elle-même rangée dans un sac à dos où se trouvaient deux dagues et un pistolet automatique ainsi que deux grenades à fragmentation. Ce sac devait sans aucun doute appartenir aux Damnés de tout à l'heure... Je me demande d'ailleurs pourquoi ils ne se sont pas servi des grenades. Nous voulaient-ils vivants ? Ils ne semblaient pas donner cette impression lorsqu'ils nous pourchassaient dans le bus quelques heures auparavant...  

    - Bon, tu vas y arriver ? s'énerve Jessica.

   - Je sais même pas si elle est chargée, réplique Finn du tac au tac.

   - Dis plutôt que tu ne sais pas comment ça marche.

   - Je suis pas débile à ce point là...  Ah ! Ça y est.

   Le visage de Finn est alors illuminée par la source de lumière blanche provenant de l'écran de la tablette.

   - Il n'y a aucun code, se réjouit-il.

   - Alors laisse tomber, ai-je déclaré. S'ils ne voulaient rien cacher, c'est qu'il n'y a rien d'important là-dedans.

   - Ça ne coûte rien de regarder...

   Finn se concentre sur l'écran et fait défiler son doigt dessus, parcourant les différents dossiers.

   - En effet, il n'y a pas grand chose... seulement trois dossiers dont deux vides. Le troisième est appelé OP912  et ne comporte qu'un élément.

   - De quoi s'agit-il ? demande Jessica.

   - Une minute.

   Finn fronce alors les sourcils, dévoilant un regard perplexe.

   - Alors ? l'ai-je relancé.

   - C'est une vidéo qui date d'aujourd'hui. Elle a été prise ce matin, à 11h34, précisément. Il semblerait que...

   Le garçon laisse sa phrase en suspense, nous laissant tous plongés dans une attente angoissante.

   - Quoi ? s'énerve alors Thalia.

   - En dessous, il est écrit "VIDEO AMATEUR QUI MARQUERA A JAMAIS LA CHUTE DE NOTRE PAYS".

   Finn relève la tête, incrédule.

   - Donne-moi ça, dit Thalia en se tordant dans son siège pour lui arracher la tablette des mains.

   Curieux, je ralentis et gare le pick up sur le côté. Thalia place l'écran au milieu afin que ceux de derrière puissent mieux voir.

   - Venez voir ça.

   Brad et Angela se rapprochent et se penchent au dessus des autres. Thalia pose son doigt au centre de l'écran, puis la vidéo démarre.

   Au départ, j'ai beaucoup de mal à analyser la situation. Puis je reconnais la Maison Blanche, le grand drapeau des Etats-Unis qui orne la devanture, puis des individus sur le toit de celle-ci. La personne en train de filmer devait être sous le choc, car la caméra n'arrête pas de trembler. Puis le zoom nous permet de mieux observer les gens sur le toit. J'en compte six exactement. Je sens mon cœur battre à tout rompre, puis lorsque l'image devient plus nette, je ne sais pas comment je fais pour ne pas me retrouver dans les vapes.

   - Oh mon dieu, pleure Angela.

   L'homme au centre de l'écran est reconnaissable entre mille. C'est le Président des Etats-Unis. Et, juste derrière lui, tenant un pistolet braqué sur la nuque de celui-ci se trouve Wilkins. Revoir à nouveau son visage me donne envie de gerber.

   - C'est impossible... murmure Jessica, sous le choc. Ça... Ça ne peut pas être vrai.

   Un son strident me perce les tympans, puis la vidéo laisse place à une voix démoniaque que j'espérais ne plus jamais entendren résonnant dans un micro.

   - Chers citoyens de Washington, dit Wilkins. Je voudrais vous dire que tout va bien se passer, mais ce serait vous mentir.

   Son sourire malsain me laisse échapper une grimace de dégoût. J'étais tellement concentré sur Wilkins et le Président à genoux devant lui, que j'avais à peine remarqué les quatre jeunes qui l'encerclaient, en uniformes et protections noirs qui portaient le logo de Dayton Inc. au centre de la poitrine. Ce sont sûrement des Damnés. Ceux-ci sont placés juste devant quatre browning 1919 A4, des mitrailleuses qui ne font pas de quartiers lorsque la puissance de feu est lancée...

   - Aujourd'hui est un jour nouveau, dit Wilkins. Le jour où tout va commencer. Ou tout se finir, tout dépend du point de vue selon lequel vous vous placez. En tout cas, un nouveau départ pour moi, votre nouveau leader. Je ne vais certainement pas vous demander votre avis. Je ne vous conseille en aucun cas de vous opposer à moi, car la sanction sera on ne peut plus directe. Cependant, si je peux vous affirmer une chose, c'est que le gouvernement américain vient de tomber.

   Des chuchotement se font entendre derrière la caméra, traduisant l'inquiétude et l'incompréhension totale des gens.

   - Le monde va changer, je peux vous le garantir. Bientôt, le Mal rongera cette Terre et fera d'elle sa marionnette. Personne ne pourra m'arrêter. Je ne vais pas m'éterniser en faisant un discours d'une heure, oh que non. Mon acte sera bien assez clair pour vous faire comprendre qui est le vrai maître.

   - Il ne va pas faire ça, quand même ...? chuchote Angela.

   Je réalise soudain que le pays s'est détérioré beaucoup plus vite que ce que j'aurai pensé. Wilkins a gagné du terrain. Et il s'apprête à accomplir un acte qui marquera à jamais le monde.

   - Vous pouvez crier... reprend-il. Vous pouvez fuir... vous pouvez pleurer...

   Il observe les citoyens de la ville et sourit diaboliquement jusqu'aux oreilles.

   - Ouais, ça vous allez tous le faire.

   La détonation me provoque un effet coup de poing. Un énorme frisson s'empare de moi tandis que les larmes coulent le long de mes joues. Des larmes de colère ? De désespoir ? Je ne saurai le dire tellement la situation m'empêche de bien réfléchir. Thalia tremble et fixe l'écran, bouche-bée. 

   Le reste de la vidéo passe au ralentis dans ma tête. Le Président s'effondre sur le toit de la Maison Blanche dans une giclée de sang, puis Wilkins, d'un air satisfait, lève les mains en l'air. A ce moment-là, les quatre Damnés placent leurs doigts sur la détente de leur arme, et les balles fusent à grande vitesse droit sur la caméra, droit sur les citoyens. Les détonations sont assourdissantes, le mouvement s'accélère et la caméra tombe lourdement au sol, du sang parcheminant partiellement son écran. Dans les dernières secondes, on y entend des gens hurler, on y vois des jambes courir dans tous les sens, des corps de milliers de citoyens tomber, des balles et du sang giclant sans cesse de partout. Puis l'écran émet un dernier son suraigu, et la vidéo est coupée.

   Thalia laisse tomber la tablette d'une main tremblante, sous le choc. Le plus dur est que je ne saurais même pas la rassurer à ce moment-là. Des respirations saccadées me proviennent de derrière tandis que je fais de mon possible pour réguler la mienne.

   - C'est un vrai cauchemar ! crie Angela. On ne voit ça que dans les films, ça ne peut pas être possible... Le monde vire au cauchemar !

   Ma vision devient floue, et mes jambes se mettent à trembler toutes seules. Je ne sais pas ce qui m'effraie le plus. Le fait que le Président des Etats-Unis ait été tué avec une telle violence et que le pays sombre dans les ténèbres, ou que le peu d'espoir que je tente désespérément de garder cloîtré au plus profond de moi-même se soit si soudainement envolé.

Bloodshed Tome 2 : SacrificeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant