LES COMPAGNONS

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–La mission est-elle un succès ? demanda dans l'obscurité une voix sombre et gutturale.

–Évidemment, maître ! Quand vous ai-je jamais déçu ? La truie et son petit sont passés à l'abattoir une huitaine de jours de cela.

–Des nouvelles du porc ? s'enquit le maître. « Je ne saurai accepter sa vaine poursuite dans la vie ! »

–Il ne couinera plus, mes deux compagnons restés sur place m'ont confirmé sa mort : il s'est suicidé à leurs côtés !

–Parfait ! Va voir Ysèle pour toucher ta récompense. Elle trouvera bien de quoi te satisfaire. Pars maintenant et loué soit Aeneric !

–Merci maître, répondit l'inconnu, s'inclinant bien bas ! Il se releva, tourna les talons et s'en fut rapidement, laissant l'autre seul dans la pénombre.

–Ainsi, parla-t-il à haute voix.« Toi, Jehan de Prunellier, ancien Compagnon, n'as pas pensé à invoquer le Serment de Sang ? Qu'il en soit ainsi... Puisses-tu désormais pourrir dans ta tombe. La mort est inéluctable et attend tous les hommes, déserteurs ou non ! »


Fondés sur une île au sud-est de l'archipel du Commerce séparant le royaume des Hommes d'Éridia et de la République elfique de Terhria, baignés par la Mer des Défunts, les Compagnons était une société secrète agissant selon la volonté d'Aeneric, le dieu de la Mort et de l'Au-delà. Ils vivaient dans des repères à travers Éridia et fonctionnaient selon un certain principe. Tout d'abord, ils recevaient un ou plusieurs témoignages d'une personne leur demandant la mort d'une autre ou d'un groupe. Ensuite, ils signaient un contrat et étaient payés en or ou en nature selon la mission effectuée. Enfin, ils remplissaient la mission.

Jamais ils ne rataient un contrat et jamais la cible ne s'en sortait, car ils vivaient pour Aeneric et ce dernier ne pouvait concevoir de perdre ! Si par malheur quelqu'un venait à survivre ou à feindre sa mort, une malédiction le frapperait ou les conséquences en seraient terribles.

Afin de rester en contact et d'éviter les déserteurs, les Compagnons étaient liés par le Serment de Sang. Chaque nouvelle recrue s'ouvrait une plaie et le mélangeait à celui des autres compagnons. Les vœux d'Aeneric étaient prononcés.

Jehan de Prunellier y était entré au sein aux environs de douze ans, demandé par le chef en personne, le Faucon Noir, pour ses talents dans le forgeage d'armes et sa capacité unique à utiliser la forge lunaire. Il fut intégré au groupe et pendant trois années, il vécut à leurs côtés, étant pris dans leur filet comme un insecte par une toile d'araignée.

Le jour de ses quinze ans, il débuta sa seconde formation dans l'art du combat, apprit à se protéger, à utiliser un bouclier, une et deux épées, des dagues, un arc. Il apprit la vie de la divinité Aeneric et effectua le Serment à dix-sept ans.

Sa première mission, qui fut une franche réussite, consista en l'assassinat d'un vieil homme, soupçonné d'abuser d'enfants dans son orphelinat. Glorieux, il enchaîna les missions et montra un talent réel pour le groupe qui le promut rapidement. À dix-neuf ans, il avait trois personnes sous ses ordres et tout semblait aller pour le mieux pour lui, jusqu'au jour où son contrat porta sur un homme qui battait sa femme, une certaine Aude. Il tua l'homme mais, au lieu de reporter sa mission comme réussie, il vint à fuir avec cette dernière car il en était tombé rapidement amoureux. Ils partirent tous trois au milieu de la nuit de la semaine d'après, quittant pour toujours les îles et s'installèrent à Brenaïs, où ils avaient vécu de formidables années, jusqu'à être rattrapés par son passé.

Jehan était le fils de Benoît de Tyass, baron de l'île éponyme. Comme la vie de noble l'ennuyait à l'époque, il avait commis maints petits larcins, s'étant attiré les foudres de son père. Plusieurs fois corrigé, jamais il n'avait changé. Un jour, alors qu'il avait volé une bague à un marchand de Tyass, un homme vêtu de cuir noir et d'une cape l'avait observé. Il avait décelé en ce jeune garçon un potentiel certain pour le brigandage et le vol à la tire, voire davantage. Au fil des semaines, tous deux étaient entrés en contact et l'enfant était venu à se confier de sa morne vie à son nouvel ami.

Après avoir fuit les îles en compagnie de sa nouvelle femme et de sa fille, Jehan avait été chaleureusement accueilli par le propriétaire du Coq Rouge, une auberge située au cœur de Brenaïs. L'homme qui l'avait recueilli s'appelait Reold le Gros et ce dernier lui avait offert le gîte et du travail, à manger sur la table et une sécurité ainsi qu'une éducation en bonne et due forme. Rapidement, Jehan s'était élevé au sein de la population et, grâce à son titre de Baron, héritage de son défunt père, il en était venu à diriger la bourgade, qu'il avait alors rendue indépendante, soucieux de ne pas la voir telle qu'il avait vécu son enfance. D'Aude, il eut un héritier, Isir qui reprendrait alors ses titres à son trépas.


Comme Jehan était encore lié au Serment de Sang au moment de quitter les îles, il avait demandé à Aude de le poignarder à côté du cœur, afin d'effacer le Serment. Il en était presque mort, mais était parvenu à survivre. Il avait alors pensé que si proche de la mort, son Serment s'était éteint et qu'il n'aurait plus jamais à être confronté aux Compagnons. Après vingt-sept ans de vie paisible, il avait découvert qu'il s'était trompé. Sa famille avait été assassinée et il s'était suicidé afin de recourir à une ancienne légende, lui ayant permis de passer un marché divin ; s'étant vu promettre la résurrection de sa famille s'il parvenait à accomplir son nouveau destin. Aujourd'hui, il n'avait aucune nouvelle de son fils, Isir, supposant qu'il s'était enfuit aux côté de Guéronde, la fille de paysan dont il était amoureux.

Les Âmes PerduesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant