Rodolphe (Chapitre 13)

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Officiellement l'appartement où se trouvait Rodolphe, sa sœur et quelques membres influents des enfants d'Astra, appartenait à l'un des leurs, loué par des parents eriquiens riches qui ne soupçonnaient rien de la réelle nature des occupants.

En trois ans, ils n'avaient pas cherché à déménager de la ville de Karassante, jugeant que cette conduite surprendrait le gouvernement qui ne s'y attendrait pas. En effet, si en quelques mois les recherches avaient considérablement décrus dans les zones urbaines proches de la capitale d'Aileen, elles s'étaient accentuées dans tout le reste de la planète et même dans le reste de la galaxie, prouvant aux jeunes gens que leur raisonnement avait été le bon.

Rodolphe était pour l'heure assis dans un siège dans le coin cuisine, surveillant derrière le bar les quatre astrayens occupés à discuter du point le plus dramatique de leur plan avec sa sœur Sibylle.

Celle-ci s'exclamait pour la énième fois d'un ton pensif :

— En fait tout notre dispositif ne tient pas tant que nous ne réussissons pas à trouver un moyen de gagner l'accès de la flotte aéro-spatiale d'Aileen. Nous pouvons faire toutes les révolutions du monde, s'ils tiennent leurs vaisseaux nous sommes fichus. Comment retourner alors à Astra ?

Le gamin de seize ans, l'informaticien de génie, Ralph, haussa les épaules d'un air découragé.

Rodolphe se désintéressa alors de leur conversation, songeant tout à coup qu'il aurait adoré faire n'importe quoi comme un jeune normal. Par exemple, au hasard, se soûler jusqu'à être ivre mort et oublier l'apparition pas plus tard qu'hier de son fils à la télévision dans une interview de la reine...

Allait-il être condamné à le voir grandir à travers l'écran comme tout le monde alors qu'il était son père ? Cette idée était intolérable à Rodolphe et en même temps il ne manquait jamais un reportage sur la famille royale, prétextant qu'il fallait connaître au maximum ses ennemis pour exploiter leurs faiblesses...

Et Aileen ! Ah il avait eu beau jeu cinq ans auparavant de lui annoncer qu'il la détesterait... Au fil des années des sentiments mitigés s'étaient enracinés dans son cœur. La haine, chaque fois qu'il regardait le cou de sa sœur ou brillait l'appareil de métal qui la torturait toujours autant sans qu'elle en dise rien, ou fasse comme si de rien n'était.

Mais l'amour aussi. Une passion qui ne cessait de grandir au fur et à mesure des mois qu'il passait loin d'elle, alors qu'il eut souhaité le contraire. Tout cela contribuait à faire de lui un homme brisé qui ne trouvait d'avenir que dans le plan 439...

Plan qui ne menait à rien puisque personne n'avait trouvé jusqu'ici de solution pour obtenir la flotte aéro-spatiale. Aucun enfant d'Astra n'y travaillait comme l'avait prévu le plan car Orys, et Aileen après lui, avaient tout fait pour que ce ne soit pas le cas, finissant par y réussir malgré leurs associations qui avaient réussi à mobiliser pas mal de monde (y compris beaucoup d'eriquiens stupides) pour l'égalité des droit et pour protester contre cette ségrégation.

Rodolphe avait l'impression de mourir chaque jour et pourtant il s'obligeait à faire à chaque instant un plus gros effort pour le cacher. Seule sa sœur le regardait parfois longuement, sans oser lui demander la nature du mal qui le rongeait. Elle ne le questionnait pas cependant, de peur qu'il ne l'interroge lui sur le Ravageur qu'elle portait.

Il songea ensuite au message qu'il avait réussi à faire parvenir à son père adoptif dans la matinée. Celui-ci lui avait fait répondre qu'il allait bien et qu'il priait pour qu'il parvienne à échapper toujours aux gardes... Il n'avait pas été inquiété par les soldats qui l'avaient cru lorsqu'il avait dit qu'il ignorait tout de l'identité réelle de son protégé.

D'autant que Lint Kent avait brûlé volontairement toute une partie de l'appartement pour détruire la chambre de Rodolphe qu'il avait ouverte après la fuite du palais de celui ci... Les traces de griffure partout étaient un peu trop visibles et il s'en était débarrassé.

Le jeune homme ne l'aurait jamais avoué mais il s'était réellement attaché au vieil homme qui lui manquait.

Oh oui, s'il avait pu se permettre de vider la bouteille d'alcool posée devant lui sur le bar... Mais son peuple ne méritait pas d'avoir un empereur alcoolique après avoir accepté son statut de mutant, ce qui l'emplissait toujours autant de gratitude.

Il laissa échapper un léger sifflement entre ses dents, tentant de se calmer car s'il continuait ainsi, il risquait de se transformer maintenant en loup devant tout le monde. Et les astrayens finiraient bien par se lasser d'avoir à trouver discrètement des vêtements à sa taille qui finissaient toujours en lambeaux...

— Oui ! Oh, c'est une idée qui peut nous faire gagner la guerre ! Comment avons nous fait pour ne pas y penser plus tôt ? Merci Ralph... Rodolphe ?

Le jeune homme se leva de son siège en faisant mine d'être enthousiaste et vint les rejoindre dans la partie salon, restant un instant debout devant sa sœur qui l'avait appelé avant de se laisser tomber dans le canapé à côté d'elle.

— Oui ? Je n'ai pas tout écouté, qu'a proposé Ralph ?

Le gamin -il détestait être appelé ainsi mais il restait le plus jeune de leur entourage- se redressa, les yeux brillants, et se pencha vers Rodolphe pour expliquer :

— À vrai dire c'est toi qui m'en a donné l'idée. Tu expliques toujours que tu cherches la faiblesse d'Aileen...

Le jeune homme oublia aussitôt ses idées noires pour se concentrer entièrement sur la conversation, soudain terriblement inquiet. Il demanda simplement en se redressant :

— Oui, et alors ? Je ne vois pas où tu veux en venir...

Ce fut sa sœur qui lui répondit.

— Aileen dirige toute l'AM.Erica et...

Rodolphe fronça les sourcils et objecta :

— Elle ne le fait pas seule. Son parlement a énormément d'importance et peut l'obliger à prendre des décisions qu'elle n'aurait pas prise elle-même.

Il aimait se rappeler ce détail, songeant que les tueurs à ses trousses étaient peut-être envoyé par le parlement et non par sa femme. Mais Sibylle poursuivit en vrillant son regard dans le sien :

— Peut-être. Mais si nous exploitons la faiblesse d'Aileen, alors nous pouvons être sûrs qu'elle fera tout pour convaincre le parlement... et elle est douée en politique donc elle devrait bien réussir à rassembler autour d'elle une majorité.

Rodolphe sentit quelques gouttes de sueur couler le long de son cou dans son dos en même temps que le besoin de se transformer le saisissait, même s'il tentait de garder un visage impénétrable. Il tenta de s'exclamer d'une voix faussement amusée :

— Oh, formidable ! Il ne reste plus qu'à trouver le point faible de la reine...

Il n'aimait pas l'appeler par son prénom en public, ayant l'impression de trahir toutes ses passions rien qu'en le murmurant. Il était certain que sa sœur s'était rendu compte du fait qu'il évitait de le dire, même si elle mettait cela sur le compte de la colère plutôt que l'amour...

Mais, implacable, ignorant la tornade d'émotion que ses mots allaient déclencher, elle reprit la parole et acheva leur pensée à tous :

— Mais justement, nous connaissons le point faible d'Aileen : son fils. Enlevons Theobald, et nous tiendrons notre accès à la flotte aéro-spatiale...

Les enfants d'Astra T3 & 4 [SOUS CONTRAT D'EDITION]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant