Chapitre 3 : Crystal

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Le matin est vite arrivé. Je n'avais même pas pris la peine d'attacher mon agresseur, il ne pouvait pas aller bien loin dans son état. Il était traumatisé, mais je doute que c'était à cause de moi. Il ne restait que quelques braises du feu d'hier soir, il fallait que je l'éteigne complètement avant de partir. J'ai rangé mes affaires avant d'aller chercher de l'eau. L'homme, lui, restait assis adossé à un arbre. Quand je suis revenue, il était toujours là, il regardait dans le vide. Je me suis approchée de lui, l'air curieux.

- Lève-toi, on se tire, - lui ai-je dit calmement.

Aucune réaction n'a suivi. Je n'avais pas envie de le laisser là. J'ai pris une corde de mon sac et l'ai attachée autour de sa taille et de ses poignets. Je l'ai tiré pour qu'il se lève, puis j'ai accroché l'autre bout à mon sac. On a marché environ 3 km avant de sortir de la forêt. Je trainais l'inconnu tel un chien derrière moi. Je ne savais pas trop où j'allais mais au plus j'avançais, au plus le paysage changeait. On était désormais entouré d'un désert. J'essayais de garder la même direction mais je savais qu'à un moment donné on allait se perdre. Il fallait que je fasse parler le boulet humain qui voyageait avec moi. Je me suis stoppée net et me suis tournée vers lui. Il regardait partout sauf vers moi. J'ai attendu un moment, je ne savais pas vraiment comment m'y prendre, j'ai toujours été de l'autre côté des interrogatoires. D'un coup, sans qu'il ne s'y attende, mon bras s'est rapidement levé, a pris de l'élan et a atterri sur la joue du type. Il faut dire que je ne m'y attendais pas non plus, à une telle force en tout cas.

- Allez ! Parle ! Je t'en supplie !

Je n'en pouvais plus de son silence. Après 30 secondes, il a tourné sa tête dans ma direction et a plongé ses yeux dans les miens. Ma vue est devenue trouble, je n'avais aucune idée de ce qui m'arrivait.

- Je ne sais pas ce que tu fais mais arrête ça immédiatement !

Je battais l'air des mains, je tentais de le frapper mais je ne le voyais plus. J'ai senti une main se poser sur mon épaule et soudain, je n'ai plus bougé d'un millimètre. Je n'en ressentais plus le besoin. J'ai senti une paix intérieure, comme si tout ce qui m'avait inquiété jusque là avait disparu. J'ai cligné des yeux, je n'étais plus dans le désert. Au contraire, j'étais en pleine ville. Il faisait calme, trop calme. Je ne trouvais même pas anormal d'avoir changé de décors. Les rues étaient vides. Le ciel était noir. Puis, une par une, des personnes inconnues ont commencé à sortir des bâtiments. Il y en avait de plus en plus. Tout le monde semblait savoir ce qu'il faisait. Ils avaient tous les yeux rivés au ciel. Ensuite, il est apparu. L'oiseau. Il avait la taille d'un navire cargo, noir métallique. Je sentais une envie de fuir arriver mais je ne savais toujours pas bouger. Quelque chose qui ressemblait à un géant pommeau de douche est sorti de ce véhicule volant et a commencé à projeter de l'eau. Je ne sentais pas le poids des vêtements mouillés, j'ai donc baissé les yeux et c'est là que j'ai vu des milliers de personnes fondues à terre. Le liquide qui s'écoulait dans les égouts n'était plus transparent mais rouge, avec des yeux, des dents, des cheveux qui passaient de temps en temps et bouchaient la grille.

Je ne sentais plus mon cœur battre. J'étais comme morte. J'étais de nouveau seule dans la rue, puis, les âmes ont commencé à se détacher des corps ou de ce qui en restait. Je me suis retournée, il y en avait partout. Je me suis mise à courir, je regardais à droite puis à gauche. Plus personne n'était vivant. Même les maisons ont perdu leurs couleurs. En courant j'ai senti quelque chose me transpercer de la tête aux pieds. Dans la panique, je n'avais pas tout de suite compris que je venais de passer à travers un lampadaire. J'étais, en fait, aussi une âme errante, sans enveloppe charnelle. Je me suis arrêtée, j'étais perdue. J'attendais juste de me réveiller, de disparaitre.

J'ai de nouveau senti une main sur mon épaule. Brusquement, j'ai inspiré de toutes mes forces, comme si je venais de faire un cauchemar. Tous les sentiments me sont revenus, j'ai retrouvé l'usage de mon corps ainsi que ma vision. L'inconnu était toujours à mes côtés. J'ai eu l'impression d'avoir partagé le même esprit que lui pendant un moment. C'était presque du viol mental. Il s'est rapproché à deux centimètres de ma tête.

- Tu sais maintenant ce qu'une partie de moi a vécu, - m'a-t-il chuchoté à l'oreille.

J'étais troublée. D'abord, par ce que je venais de découvrir, ensuite par ses premiers mots. Mais je m'en suis vite remise, je n'éprouvais plus que de la compassion ou de la pitié, je ne savais pas encore très bien ce que c'était.

- Et la deuxième partie ?

- La deuxième partie est toujours là, bien enfouie, je n'ai juste pas envie de te faire ressentir physiquement ce qu'elle a enduré.

Je me demandais pourquoi n'avait-il pas parlé plus tôt. Je voulais le lui demander quand ses yeux ont eu l'air de sortir des orbites. Il y avait quelque chose derrière moi qui lui faisait
cet effet. Quelque chose de très grand apparemment. Lentement, j'ai tourné mes talons à 180°. Je n'osais pas lever les yeux. Ce que je voyais me suffisait amplement. Deux pieds gigantesques à trois orteils, faits en métal et couverts par de la moisissure pointaient vers nous. A droite, un bâton trois fois plus grand que moi était planté dans le sol.

- Un Makawee... Il fallait qu'on tombe sur un Makawee, - a désespérément dit l'homme.

Je n'avais aucune idée de ce qu'il parlait mais, personnellement, ce "Makawee" ne m'inspirait rien de bon. Et puis, il était déjà trop tard pour fuir.

Héritage : Tome 1 : Amnesia CorpOù les histoires vivent. Découvrez maintenant