Chapitre 8 : Diaz

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- Diaz, ma pauvre petite Diaz, - se lamentait le président Harrison.

Sa chaise en cuir faite sur mesure épousait parfaitement sa carrure bien trop imposante pour les sièges traditionnels. Entre son index et son majeur il tenait l'un des derniers cigares Gurkha qu'il ne sortait que lors des occasions particulières. En effet, il était en train de réfléchir à l'avenir de sa fille, si, toute fois, il y allait en avoir un.

Elle a perdu sa confiance avec son acte irréfléchi mais il ne pouvait pas se permettre de la rayer de ce monde étant donné que c'était sa seule héritière. Il fallait la garder en vie tout en lui faisant comprendre qu'elle ne peut agir de la sorte. C'est dur d'être père de nation quand ta propre fille te fait de tels cadeaux.

Mais cette situation était inévitable, il le savait, il aurait dû s'y préparer. Il voulait la protéger, mais ce sont ses propres actes qui ont fait fuir ce pour quoi il vivait, pour quoi il travaillait. C'était décidé, elle ne devait plus être exposée à ce monde de fous. Il devait la cacher. Elle ne devait être qu'à lui.

Diaz, pauvre Diaz. Elle ne se doutait de rien, tranquille dans sa suite luxueuse. Steve était à ses côtés, elle avait le regard qui brillait de mille feux, encore en train de chercher à nuire à son père. La brise provenant de la fenêtre grande ouverte du salon lui caressait les cheveux qui s'envolaient légèrement. De temps en temps il posait sa main sur l'épaule de la jeune fille. Ce contact, bien que maladroit, les faisait frissonner tous les deux. Ils avaient devant eux une bouteille de Cheval Blanc. Il fut un temps on pouvait avoir une bouteille de ce vin à seulement 600€, cela semblait peu aujourd'hui. Absolument tous les prix avaient grimpé au plafond. Steve a de nouveau rempli les verres qui demeuraient vides depuis un moment. Ils étaient trop absorbés par leur plan pour faire attention à ce genre de détails. Surtout des détails insignifiants comme le sniper dans l'immeuble en face qui avait le destin de Diaz entre les mains. Malheureusement pour elle, aucun choix ne lui appartenait. Il obéissait, c'était son boulot. Dans quelques instants elle allait tomber dans un sommeil si profond, qu'elle devra se battre pour en ressortir. Et quand elle y parviendra, ce sera déjà trop tard. Ni elle ni personne ne saura où elle se trouve. Elle se croira morte pendant quelques jours, jusqu'à ce que finalement son père vienne en personne pour vérifier qu'elle est bien en vie. Elle n'avait aucune chance de s'échapper, rien ne pouvait empêcher toutes ces choses de se produire. Ils rigolaient tels des enfants, ils profitaient de ce moment d'insouciance. Le sniper a reçu le feu vert. Ce n'était plus qu'une question de fractions de seconde avant que le sourire ne s'efface à jamais de ses lèvres. L'inconnu a appuyé sur la détente, le temps s'est arrêté, elle allait être touchée. Les yeux de Steve étaient rivés sur ceux de Diaz. Le sentiment qu'il éprouvait n'était plus enfantin. Sa main, de nouveau sur son épaule, l'a poussée vers le sol tandis que l'autre enlaçait déjà sa taille. Il était au dessus d'elle, haletant, quand il a entendu un bruit sourd et, par la suite, un trou s'est formé dans le mur de la taille d'une myrtille. Un regard vers la fenêtre leur a suffi pour comprendre. Leur petit conte de fées semblait donc s'arrêter là. Stupéfaits par leur chance immense, ils n'ont pas eu le temps de réfléchir que, machinalement, ils étaient déjà en train de dévaler les escaliers de secours. Ils fuyaient, ils ne comprenaient pas encore qui était derrière cette tentative infructueuse.

Ils sont descendus dans le garage. La vieille Alfa Romeo 4C Spider, tout aussi élégante que sa propriétaire, l'attendait patiemment. Ils ont sauté dedans et ont démarré aussi vite que possible. L'écho du moteur rugissant dans le garage sous-terrain était une musique pour tous ceux qui avaient la chance de la conduire. Une rue après l'autre, ils slalomaient audacieusement entre les autres bolides de cette ville, trop lents pour eux. Ils ne savaient pas encore où aller. Mais le destin allait bien les guider tout comme il avait décidé de les épargner.

- Tu crois qu'on va vivre ? - a demandé Steve tout en fixant la lumière des lampadaires qui devenaient de plus en plus rares au fur et à mesure qu'ils sortaient de la ville.

- Un moment fougueux nous a sauvé la vie alors, je suppose que je n'ai plus qu'à me reposer sur la bonne volonté des dieux, - a répondu Diaz avant de lancer un bref regard à Steve.

Son coude était posé sur le rebord de la fenêtre ouverte. Le vent jouait avec le col de sa chemise déboutonnée. Ses cheveux étaient en bataille, tout comme ceux de Diaz. Au loin un signe géant indiquait l'entrée d'un motel. Ça tombait plutôt bien puisqu'ils avaient roulé durant quelques heures, sans s'arrêter. L'endroit ressemblait à l'un de ces vieux motels américains des années 50. Des palmiers artificiels étaient plantés partout autour. Un autre panneau nous renseignait sur le nom de ce lieu mythique, "The Lodge". La femme à l'accueil avait l'air de s'endormir quand la clochette de la porte l'a ôtée aux bras de Morphée. Elle leur a gentiment vendu une chambre double avant de replonger dans son activité ultérieure.

La clé ressemblait à une ancienne clé de trésor de vikings. Ils ont eu un peu de mal à la tourner dans la serrure. Leur chambre était loin d'avoir un style victorien mais c'était suffisant pour une nuit. La fatigue les a fait s'écrouler dans le lit en moins d'une minute. Ils étaient face à face, regards enlacés. Ils ne pensaient à rien mis à part le teint rosé l'un de l'autre. Ils étaient désormais des fugitifs dans le monde dont ils étaient autre fois les rois, où tout leur était possible. Ils allaient vivre, il n'y avait aucun doute là dessus. Mais ils devaient apprendre à vivre autrement. Et tant qu'ils avaient chacun leur partenaire de crime, ils pouvaient gravir des hauteurs inimaginables. Ils étaient là, dans ce lit plein de poussière, loin de leur vie parfaite d'autrefois et s'endormaient peu à peu sur l'idée de devoir tout recommencer demain. Mais ils étaient jeunes, jeunes et invincibles.

Le président Harrison s'endormait lui aussi. Il ne se doutait pas encore de l'échec de son plan. Sa fille ne se retrouvera pas dans un coma profond, elle ne sera pas enfermée à jamais et ne sera pas qu'à lui. Loin de là, elle était déjà en train de se donner à un autre bien qu'elle n'en avait pas encore conscience. Elle restait incontrôlable pour lui. Et qui sait, cet échec sera peut-être la cause de sa perte fatale.

Héritage : Tome 1 : Amnesia CorpOù les histoires vivent. Découvrez maintenant