Chapitre 1 - Ennui

206 25 28
                                    

Il était neuf heures tapantes, le premier cours de cette journée allait commencer d'une minute à l'autre. Comme à mon habitude, je pris place au fond de la classe, seul, à la table longeant la fenêtre qui donne sur la cour. La pièce arborait quelques couleurs : un vert léger sur le sol, un jaune pâle sur les murs, et un blanc mate au plafond. Cette sobriété suffisait à une certaine sérénité. "Je sens qu'une journée passionnante se prépare." pensais-je de façon plus qu'ironique.

Le professeur commençait son cours de mathématiques lorsque je m'appuyais contre le rebord bétonné de la vitre et laissais mes yeux se balader sur le paysage : Un sol goudronné abîmé par l'usure; un grand arbre en son centre, aussi massif que majestueux qui colorait la toile terne de l'asphalte; des petites feuilles dansantes accompagnées de la brise matinale; un ciel bleu azur tacheté de nuages d'un blanc cotonneux; quelques oiseaux qui avaient trouvé refuge dans des branches, loin des regards ... Je les enviais grandement, j'enviais leurs jeux innocents et surtout leur liberté.

Je me laissais emporter par ces diverses rêveries, le cœur et les pensées loin de toutes sortes de chiffres ou d'opérations. J'avais déjà assez de problèmes, pas besoin d'en rajouter dans mes cahiers. Mon stylo se promenait entre mes phalanges, tel un acrobate acclamé par un public énergique. Mes doigts tapotaient régulièrement sur le bois verni de la table, ajoutant ainsi des roulements de tambours effrénés à ce spectacle. Je pourrais rester des longues heures comme cela ... du moins c'est surement ce que j'aurais fait si je n'étais pas à ce point impatient !

Je tournai brièvement mon regard sur l'horloge banale accrochée au-dessus de la porte par une fine visse. Cinq minutes. Non pas le temps qu'il me restait à subir ce calvaire, mais malheureusement le peu de temps écoulé. Un long soupir, qui fit office d'entracte, brisa le brouhaha silencieux de ma représentation. Je me remis rapidement à mon activité quelque peu active et replongeai le regard au loin dans les cieux. Le zéphyr était très faible, les moutons blancs dans le vaste océan céleste semblaient immobiles.

Un bruit soudain rompit une fois encore ce long silence rêveur : on entendait frapper à la porte, des coups saccadés et timides. Sans plus d'agitation, on invita la personne à entrer. Je n'y portais pas plus d'attention que ça, persuadé qu'un surveillant allait apparaître de derrière la porte. Je reconnu cependant la voix rauque et grave du professeur qui annonça d'un ton serein : "Je vous présente Kira. Elle vient d'emménager ici, à Junishin, je vous prierais donc de bien vouloir lui réserver un accueil des plus chaleureux"

A ces mots, je détournais lentement mes pupilles qui passèrent d'un tableau céleste à un visage divin. Je remontais la houle soyeuse de ses longs cheveux blonds avant de plonger dans les abysses de ses yeux d'un bleu aquatique. Elle rayonnait de vivacité, ces joues rosies par la timidité, un rose léger comme celui des cirrus aux aurores ensoleillées. Son sourire gêné s'accordait parfaitement à ses doigts de pianiste qui s'entortillaient nerveusement entre eux. "Bon...Bonjour" balbutia-t-elle en tremblotant des jambes, les pieds joints. Sa voix me parvint comme une douce mélodie, des arpèges légers et enchanteurs. Notre enseignant la dirigea vers la seule place de libre, celle à ma gauche. Je voyais là ma providence, une chance de pouvoir enfin parler à quelqu'un ! Mais j'étais tétanisé par l'appréhension et la peur. Je ne savais pas m'exprimer, ni parler aux autres. J'avais toujours attiré les foudres d'autrui. Je n'avais jamais voulu ça. Elle s'approchait d'un pas peu rassuré, je voyais se dessiner sur son visage un sourire doux et amical. "Elle me sourit ? A moi ? Vraiment ? Sûrement veut-elle faire bonne impression. Ou peut-être veut-elle qu'on devienne amis ? Oui, ça doit être ça !". Mes pensées s'entrechoquaient les unes après les autres, inlassablement. J'étais déterminé à saisir cette chance qui m'était offerte, je ne devais pas abandonner sans avoir essayé !

DéchusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant