Chapitre 8 - Absentéisme

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A peine je posai un pied sur le palier que le froid ne tarda pas à griffer mes joues, ce froid sibérien qui recouvrait le bout des doigts d'engelures. Je regrettais déjà mon foyer où il faisait si bon. Heureusement, le vent ne soufflait que très peu, mais le ciel n'était pas le plus rassurant, un mélange laiteux de gris poussiéreux et de blanc sale le recouvrait dans toute son immensité. La poignée de la porte d'entrée m'agressa la paume avec son métal encore plus givré que l'air.

Je refermai brusquement l'habitacle et crochetai la serrure. Ma maison donnait directement sur la rue, elle ne comportait pas de jardinet ou autre semblant d'espace. Mais qu'importe, ça ne me demandait aucun travail d'entretien. Sans plus attendre, je me mis en route vers le lycée. Il n'était ni trop loin, ni trop proche de chez moi, cela me laissait le temps d'apprécier la musique sans pour autant m'ennuyer davantage que d'ordinaire.

J'avançais à pas lent et régulier, en rythme avec les percussions modérés joués par mes écouteurs. Bien que mon esprit flottait ailleurs, transporté par cette transe musical, chaque enjambé, chaque pied au sol me procurait une sensation de dégoût. Mes semelles s'enfonçaient dans quelques centimètre de neige absolument pas compacte, une neige au trois quart fondue mélangée à de la boue. On croirait marcher sur un sol gadouilleux. Pas après pas, l'eau s'infiltrait dans mes chaussures. J'accélérai ma progression pour subir ce calvaire le moins longtemps possible. "Décidément, je déteste l'hiver !" pensai-je comme chaque matin.

Mes pensées divaguaient sans cesse vers Kira, comme si elles étaient irrémédiablement attirées par son grain de vie chaleureux. J'avançais presque machinalement au milieu de ce décor hivernal loin d'être aussi merveilleux que dans les films. Mon cœur s'emballait à chaque fois que la petite voix dans ma tête prononçait son nom. Un pic de stress s'installa vite dans mon ventre que je serrais, au travers de mes vêtements, avec ma main, à l'abri du froid, dans ma poche.

Un tintement aigu retentit dans mes tympans, mon téléphone m'alerta du faible niveau de batterie. Au revoir la musique, bonjour le lycée. Je passai le portail métallique derrière lequel se dressait l'établissement. Il ne m'inspirait rien, ni répulsion, ni admiration. Ses trois étages et ses pierres apparentes étaient d'une banalité affligeante. Le point positif résidait en l'absence de cette neige crasseuse sur le goudron de l'entrée. Elle ne tenait pas longtemps avec tous les allers et venues des élèves.

Comme chaque matin, le cadran affichait une bonne vingtaine de minute avant que la torture ne commence; les vingt dernières minutes d'une pseudo-liberté limitée. Je me laissai tomber avec flegme sur un vieux banc aux barreaux délabrés. Je me posais là presque tous les jours. Ce coin reculé, constamment éclairé par l'ombre des arbres et de la façade du bâtiment, me plaisait. Personne pour m'y déranger, juste moi et mon attente. J'étais comme... Absent, traversé par un vide étrangement agréable, une onde monotone et morne aussi douce qu'une brise estivale parcourant mon corps.

Une dizaine de minute plus tard, je somnolais presque en faisant le noir dans mon esprit. Une légère pression sur mon épaule vint me perturber dans ma méditation futile. Je n'y prêtai pas plus d'attention jusqu'à ce qu'elle survienne de nouveau. En agitant mes doigts,  ceux-ci heurtèrent une main de petite taille. Mes yeux s'ouvrirent en grands tandis que je tournai mon cou pour apercevoir celle se tenait là, à côté de moi.

"- Bonjour Kay! me sourit Kira en me saluant d'un signe rapide de la main.

- Bon...jour, lui répondis-je en la décrivant discrètement.

- Je peux m'asseoir?"

Elle arborait un magnifique sourire qu'elle tentait de cacher derrière la manche de son pull de laine rose pétale de laquelle dépassaient ses doigts menus. J'obtempérai à sa demande. Elle s'assit et ma vue retomba sur le sol, je n'osai plus me faire entendre. Je grattai nerveusement le bord métallique du banc en retirant la peinture nacrée avec mes ongles.

Je me figeai instantanément! Sa main aussi douce que de la soie, enveloppa la mienne.

"Kay, je sais que tu voudrais me parler, prend ton temps." déclara-t-elle avec un ton aussi calme qu'une mer dénuée de vague.

Un contact... Ce simple contact, pourtant si banal,me plongea dans une projection de mes pensées, des images enfouies dans moncrâne.

DéchusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant