Chapitre 5 - Lutte

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Malgré mon insistance et tout ce qu'il m'était donné de tenter, il était encore loin de s'arrêter dans sa ruée. Il ne désirait que l'accomplissement total de sa quête de sang. Son excitation avait atteint son paroxysme, il ne pouvait patienter une seconde supplémentaire. Il était bien trop fort pour que je laisse place à une quelconque lutte. Je me remémorais une dernière fois ce visage souriant et timide, cette bouille adorable et embarrassée, cette personne qui m'a accordé quelques minutes pour me  parler... Étais-je destiné à demeurer seul ? Étais-ce là ma seule issue ? Ma punition pour être venu au monde ? Cette vie n'était-elle finalement qu'un purgatoire?

"Tout espoir est vain à l'heure où s'abat la sentence du malin!" vociféra-t-il, mettant un terme à mes réflexions morbides.

Il a dit... l'espoir? Mais il se trompait lourdement! Rien n'était vain! Je devais m'accrocher à cette infime particule d'espoir qui restait enfouie en moi. Je devais l'empêcher à tout prix!

Une guerre mentale commença entre nos deux esprits. Je me persuadais de l'emporter... Non! J'en étais persuadé, je pouvais l'arrêter, et je le devais, pour elle. Ma volonté était sans faille, il devait cesser! Je le sentais faiblir dans ses mouvements, ça fonctionnait. Déstabilisé, il fut épris d'une colère grandissante :

"-Ça ne m'arrêtera pas! Ce n'est pas toi qui empêcheras son trépas! S'égosilla-t-il d'une voix tonitruante dont on percevait cependant un soupçon d'appréhension

-ÇA SUFFIT! JE T'AI DIT DE LA LAISSER!"

Comme s'il venait de percuter un mur invisible, son corps se pétrifia instantanément. Ses membres tremblaient, il hasardait toujours à se mouvoir. Il ne lui manquait que quelques centimètres, un geste, un seul, et le métal rougeâtre de sa lame aurait atteint son but. Heureusement, il était comme retenu par des chaînes; une force supérieur qui prohibait l'activation de chacun de ses muscles. Pour la première fois, je venais de lui imposer mes pensées.

Harassé, il ne quittait pas Kira des yeux. Cette dernière vérifia l'heure sur son téléphone avant de murmurer : "J'arrive". Étonnamment, un sourire en coin naquit sur ses lèvres. Surement pensait-elle à voix haute et répondait à un membre de sa famille qui l'attendait chez elle? L'air ailleurs, Kira continua son chemin. Elle semblait si calme et innocente avec son sac en plastique blanc nacré qu'elle tenait devant elle, les bras le long de ses hanches. Je la perdis de vue lorsqu'elle s'enfonça dans une ruelle donnant sur la rue principale.

Le monstre repris rapidement le contrôle sur mon corps. Lui-même n'en revenait pas, son agacement et son irritation n'avait d'égale que son incompréhension.

"-Qu'as-tu fait pour brider mes méfaits ? S'exaspéra-t-il

-Tu ne la touches pas, c'est tout!"

Il jura dans son dialecte habituel, sa rage se décrivant tant à l'intérieur qu'à l'extérieur. Bien que paradoxal cet être déversant la triste volonté de la mort s'accrochait à la vie; c'en était presque admirable.

Si seulement je pouvais réprimer ses pulsions tous les soirs. J'avais déjà essayé par le passé... Je m'en souvenais bien, je me souvenais de cette chaude nuit de printemps où, ennuyé par ma résistance face à sa suprématie, il m'avait malicieusement donné raison, m'assurant qu'il ne tuerait personne. Mais le jour qui suivit, une faim inqualifiable creusait mes entrailles : Je voulais désespérément dévorer une âme, n'importe laquelle pourvu qu'elle soit humaine! J'en devenais fou! Par chance -si on peut parler de chance- c'était un dimanche. Je réussi à ne pas succomber au mal en me barricadant chez moi. Ce jour-là, je compris qu'il ne se laisserait pas disparaître, jouant de son emprise et de sa malice.

Quoi qu'il en soit, il n'eut d'autre choix que de se résigner et se soumettre à ma volonté.

Soudainement, à peine eut il le temps de se remettre de cette horripilante idée qu'un objet fusa droit vers sa tête, pile entre ses deux yeux. Ses réflexes accrus le sauvèrent de justesse; cet instrument fendit l'air à une infinitésimale distance de sa joue, laissant quelques-uns de ses cheveux d'un noir profond voler au vent dans son sillage. Il n'obtint pas pour autant le droit de souffler un instant : Une main provenant de ses arrières se saisit de cet objet et exécuta un geste net vers sa jugulaire. Il n'eut d'autre choix que de parer le coup avec le manche de sa guillotine. Sa surprise autant que la mienne fut total lorsqu'il se retrouva repoussé quelques mètres plus loin.

Il prit alors une garde défensive tout en déchirant du regard son assaillant... Il en resta béat : devant lui se dressait une vive lumière d'un blanc aveuglant, obscurcissant les traits d'une forme humaine entièrement en contre-jour. Sa vue s'adaptait peu à peu à cette intensité jusqu'à distinguer un voile de plume laiteux à l'envergure démentielle. Cette silhouette tenait en sa main droite ce qui semblait être l'objet de tout à l'heure. Ce morceau de métal argenté étincelant se révélait être une épée, ou une arme dans le même genre.

Une fascination déconcertante reflétant une apparente peur s'empara de l'expression faciale du démon :

"-Des ailes blanches, une épée de jugement... De quels genres de louanges dois-je me délecter de la part d'un ange ?

-Ta faiblesse est risible, incapable de trancher l'âme d'une frêle jeune fille. Piètre démon! rétorqua l'ange d'un voix cristalline"

Cette voix! Cette voix douce et limpide que je reconnaîtrais entre mille! Cela ce pourrait-il ?

DéchusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant