Chapitre 11 - Mutisme

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Cinq lettres, un simple mot, un point d'exclamation, des majuscules... Elle m'avait pris de court! Je fixais cet écrit, la mâchoire béante, sans savoir ni comprendre quoi faire. L'instruction était pourtant évidente, mais rien n'y faisait. Je voulais dire quelque chose, lui confier à quel point je lui étais reconnaissant, la remercier d'une quelconque manière que ce puisse être pourvus que j'émettais un son même minime. Mais il demeurait cette barrière, cette prison, ce barrage, cette muraille aux fondations solidement ancrées dans mon crâne qui m'empêchaient de lui susurrer le moindre mot aussi idiot et vide de sens pouvait-il être. Au fond, je savais très bien ce qui me paralysait : la peur! Celle de la repousser de nouveau malgré mon bon vouloir, celle de lui paraître une fois de plus arrogant sans même lui démontrer la moindre excuse. C'était la dernière chose que je voulais.

Je sentis alors sa main resserrer son étreinte, ses doigts fins s'emmêler aux miens, sa poigne devenir plus franche. Ses prunelles reflétaient une impatience enfantine et un espoir certains. Que devais-je faire? Ou plutôt, de quelle manière devais-je la décevoir? Impossible, mais réel. Bloquées, ne pouvant reculer, si mes larmes le pouvaient, elles se seraient bien échappées de la prison que sont mes yeux. Tourmentées, renfermées, telles étaient mes pensées insensées qui se fracassaient dans ma tête.

STOP!

Tout ça n'était que perte de soi inutile et tourbillon de néant futile! Ça devait cesser. Les questions rhétoriques, les interrogations sans réponses, les problèmes insolvables, tout devait cesser. Après une respiration aussi profonde qu'elle n'avait duré dans le temps, les yeux mi-clos, pour ne pas dire totalement fermés à toutes lumières, c'était le visage droit face au siens comme dans un miroir que j'entrouvris mes lèvres et fis trépider mon larynx. Pour seule prière, je me répétais en boucle ces quelques mots mentalement : "Faites que je sois amical! Faites que je sois amical! ..."

"-Je...

-Le cours dérangerais peut-être votre conversation jeunes gens?"

La voix raisonnante et autoritaire, non sans sarcasme, de l'enseignante marqua un silence hébété dans la salle de classe. Au même moment, Kira reposa sa main sur son cahier et fit mine d'écouter attentivement. Je m'étais également redresser face au tableau verdâtre d'un goût douteux. Je ne gardais qu'un seul remord : Non pas celui de recevoir des réprimandes sûrement justifiées, mais bien celui de n'avoir aucune idée de ce qui allais sortir de mon souffle. Peut-être était-ce mieux ainsi? Je ne voulais pas le savoir!

Dans ce lycée, nous ne changions pas de salle, les professeurs s'en occupaient. Cela pour apparemment éviter les mouvements de foules et de dispersions dans les couloirs. Je me devais donc de bien choisir ma place, car un fois attribuée, je n'en sortais plus pendant toute une journée. Or celle-ci n'étais ni bonne ni mauvaise. D'un côté, une froideur pâle, inodore et sans saveur. Même les rats se laissaient mourir de faim tant tout semblaient infectes. Mais de l'autre, un rayon de soleil, une douceur angevine, un monticule de bonté et de vivacité. L'exact opposé, une extase maîtrisée, une musique envoûtante, un baisé parmi des coups de fouets, une exception divine. Et ma place, la frontière. La démarcation entre deux extrêmes, la dualité confrontant rêve et réalité. Où diable pouvait bien se situer mon existence? De quel côté pouvait bien pencher la balance de mon âme?

Mes prunelles contemplatrices se promenaient sur ses ongles de papier, sa peau aux reflets ocrées, ses lèvres d'améthyste, ses joues perlées, son nez concave et ses cheveux aux fils d'or. Lorsqu'elle me rendait ces œillades, elle me laissait entrevoir ses iris de topaze débordants de frivolité et d'innocence. Mais très vite, la fin des cours, l'alarme assommante, le chahut, des explosions censées être joyeuses. Parmi ce désordre, une caresse sur mon épaule. Sa tête penchée, ses fossettes enjouées, sa voix nébuleuse qui me rendait sourd aux vacarmes alentours :

"Tu veux passer un peu de temps chez moi? Je n'habite pas loin, à une quinzaine de minutes."

Je me congelai sur place. En guise de réponse, j'hochais simplement la tête. Je profitais grandement de son aisance, j'y voyais là une véritable aubaine. Par je ne savais quel mystère, elle lisait dans mes pensées. Ou bien nous étions simplement sur la même longueur d'onde. Avant de me rendre à son domicile, je vérifiai en hâte l'heure actuelle. 17h36! Cette période en plein milieu du froid hivernal obligeait la lune à paraître prestement. Même si je ne disposais que de peu de temps, je pris le parti de tenter le pari. Je la pistais donc dans les rues de neige boueuse de Junishin.

17h52

Son irrépréhensible sourire ne l'avait quittée à aucun moment. C'est avec un naturel probant qu'elle m'invita à entrer. Je passai alors les murs d'une petite maison de poupée qui ne manquait pas de charme. Meubles au style ancien sans dater de la guerre, papier peint aux quelques motifs fantaisistes, un espace agrandis par la luminosité, tout y étais pour s'y sentir bien accueillis.

17h54

Je me concentrais sur un journal ouvert sur une table basse en plexiglas. Je vérifiais précisément les horaires lunaires. Horreur! Celle d'aujourd'hui était annoncée pour 18h01. Je ne devais pas m'éterniser! Ou plutôt, je me devais de m'en aller pour sa propre protection! Je tournais rapidement des talons, mais quelque chose me retenais : Kira était assise en bout d'un canapé en cuir discret et agrippais ma manche. Ses yeux me suppliaient clairement de rester.

"Viens... S'il te plait, prononça-t-elle avec une pointe de nostalgie tout en se décalant légèrement pour m'indiquer de m'asseoir."

17h56

Ce ton m'avait tout fait oublier. Je voulais la voir sourire, joyeuse, lumineuse. J'obtempérais à sa demande non sans appréhension. Mon ennemi : le temps! Une fois installé, elle continua :

"Écoute-moi s'il te plait... Pose ta tête sur mes jambes."

17h57

Mon sang ne fit qu'un tour. Je ne cherchais pas à comprendre et adhérais le plus vite possible à sa demande, avec de la retenue tout de même. D'abord quelque peu hésitant, j'allongeais mes jambes sur le siège en me penchant doucement sur le côté. Une main sur mon épaule, elle me plaqua avec douceur contre ses cuisses enrobées d'un jean bleu marine. Sans prévenir garde, elle laissa ses doigts s'emmêler dans mes cheveux rebelles. Un frisson enivrant parcouru mon corps dans son entièreté avant de s'apaiser dans des effleurements rêveurs.

"Maintenant... Dit moi ce qui te pèse sur le cœur. Prend ton temps, mais dit le moi, c'est tout ce que je te demande. S'il te plait Kay."

17h59

J'écarquillai mes orbites, mon souffle devint saccadé. Je ne voulais que ça lui parler, lui faire part de tout ce que je ressens. En bonne dominatrice, l'anxiété prenait le dessus sur ma volonté, accompagnée de l'angoisse, sa compagne de toujours, et la panique pour assurer leurs arrières. Non! Je devais essayer. Kira me faisais confiance, elle ne voulait que m'aider!

"Je..., commençai-je d'une voix tremblotante à peine audible."

Je déglutis en vérifiant de nouveau l'heure. Ma frayeur ne s'en ressorti qu'accru de plus belle.

18h00

Je me redressai brusquement, le poing serré. Kira sursauta.

"Je suis désolé!"

Ce sont les premières et dernières paroles dont je lui avais fait part ce jour. J'étais sorti en hâte de chez elle sans même prendre le temps de reprendre mon sac ou de fermer la porte d'entrée. Je courrais à perte, empruntant des rues et des chemins au hasard. Je me tenais la tête, harassée par un mal intense, comme si quelque chose allait en sortir...

18h01

DéchusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant