Chapitre 4 - Chasse

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"J'ai soif d'hérésie ! Que le sang étanche ma folie !"

Mes cordes vocales vibrèrent au son d'une voix gutturale qui reflétait une pointe d'amusement et un incommensurable sadisme. Ou devrais-je plutôt dire ses cordes vocales. Comme chaque nuit, j'étais réduit à une simple conscience dans un corps que je ne pouvais contrôler, aucune de mes actions n'était le fruit de mes réflexions. J'avais totalement abandonné l'idée de lutter.

Cependant, de ma persévérance avait résulté ma capacité à communiquer avec ce démon de la pire espèce. Cela ne restait que des pensées anodines sans grandes conséquences, mais je me sentais moins seul. Il était le seul à qui je parlais correctement, avec qui je développais des discussions plus longues que quelques mots. Enfin... plus penser que parler. Certes, cela n'avait pas grande influence sur ses actes, mais pour une raison qui m'échappe, je me sentais rassurer.

"- Une seule...

- Une âme en perdition connaîtra la désolation. Toi ? Reste oublié dans les enfers de mes pensées et observe fasciné la libération d'un damné !" s'excita-t-il, ses yeux jaunes luisants exorbités.

Je l'avais au moins persuadé de ne prendre qu'une seule vie lors de ses escapades... Une de trop à chaque fois. C'était d'ailleurs pour cette raison que je ne tentais plus de résister à son emprise : Si je persistais, mon esprit se déchirerait et la main gelée de la mort saisirais le fil de ma vie, de même que celui du démon. Lui se refusa à ce destin, bien qu'approprié à sa personne, et accepta donc de sceller un accord : Ma soumission contre son contentement.

Il avait déjà accompli tant de mal. Je me souvenais de chacune de ses victimes, leur douleur, leur souffrance à l'heure où les flammes les consumèrent, leur regard innocent et plein de vie avant leur trépas.

Tous ces cris me hantaient de jour en jour. Ne pouvaient-ils pas s'enfuir me diriez-vous ? Impossible! En plus de la célérité que lui procuraient ses ailes, il était doté d'une force surhumaine et était imperceptible aux yeux des mortels. Il n'avait qu'à choisir et aussitôt à agir.

"J'en frémis d'avance ! Voyons quel faiblard exécutera sa dernière danse !" s'extasia-t-il en fléchissant les genoux sur le rebord marbré de la fenêtre.

D'un mouvement sec, il bondit vers la voûte céleste étoilée et déploya ses ailes pourpres à la grandeur considérable. Au fur et à mesure qu'il grimpait dans les cieux, sa silhouette luisante des rayons lunaires formait une ombre s'étalant sur plusieurs pâtés de maison, grandissante à vue d'œil. Il poussa un rire terrorisant qui retentit dans le silence de la nuit. Dans son élan, il se mit à scruter le sol à la recherche de sa malheureuse victime. Ses mouvements de têtes frénétiques m'empêchaient de distinguer quoi que soit, moi qui n'avais droit à la vision uniquement à travers ses yeux.

Malgré la saison et le froid qui régnait, je ne ressentais rien. C'était une sensation étrange, ou plutôt une absence totale de sensation. Je ne pouvais que penser, comme si mon existence même était réduite au néant. Cette impression de disparaître... C'est pesant.

Mais pour l'heure, mes pensées divaguaient vers autre chose, vers quelqu'un d'autre. A cause de ce maudit démon, je ne pouvais plus discuter avec Kira. Je m'était enfin senti libre, au moins pendant un court moment; enfin libéré d'un fardeau qui me faisait baisser la tête devant l'adversité. L'espace d'un instant j'étais... normal? C'était sans compter sur cette seconde personnalité, cette existence malfaisante reposante en moi.

Cette période de l'année avait le don de l'agacer. Ce froid permanent qui griffait le visage inhibait l'envie de quiconque voulant se pointer à l'extérieur. Je riais dans mon fort intérieur pendant qu'il effectuait des allées et retours dont on distinguait la frustration. Il grommelait sans cesse, c'était risible. Malheureusement, cela pouvait bien m'amuser mais je n'oubliais pas le principal : j'espérais au plus haut point de ne percevoir personne.

De longues heures se succédèrent. Par chance, nous n'avions croisé aucune âme qui vive, pas un chat. Le vol effréné de ce monstre tendait à ralentir d'heure en heure, son exaspération n'avait d'égal que son impatience. Il s'était assis au bord du vide, sur la cime d'un immeuble de quelques étages. Ses doigts minces et griffus grattaient la pierre jusqu'à la marquer de stries régulières.

"- Tu t'amuses bien ? le lutinai-je avec des arrières pensées moqueuses.

- Silence ! Cesse tes offenses !

- Monsieur est susceptible ?

- Tu seras moins hilare en contemplant mon art ! Bientôt ma faux déchiquettera un pauvre humain en un amas de lambeaux ! menaça-t-il."

Soudain, son regard jusqu'à présent dans le vague se posa sur un point précis. En une fraction de seconde, mon amusement laissa place à une terreur incongrue : Une silhouette sortait d'une supérette. J'avais compris... j'avais déjà compris que cette personne était condamnée.

"Enfin !" se soulagea-t-il.

Un sourire en coin s'installa sur sa face machiavélique, laissant transparaître ses effrayantes dents pointues. Comme parcouru par un violent courant électrique, il s'élança vers sa proie. Seule son insatiable soif de meurtre l'animait, il semblait inarrêtable. Il se rapprochait de plus en plus, la personne en face m'apparaissait au fur et à mesure. J'aperçus d'abord... Une chevelure dorée et un corps menu. Caressée par un aquilon taquin qui décoiffa ses mèches, elle tourna la tête en accompagnant ses cheveux hors de ses yeux. Ce visage ! Ces yeux azurés ! Non, ça ne pouvait être possible...

Devant elle, le démon s'arrêta dans son élan :

"- Mais qui voilà ? Ne serais-ce pas ta copine juste là ? me tourmenta-t-il.

- Pas elle...

- Pas plus d'entrain ? Quel dommage, tu semblais si serein.

- ... Arrête-toi ! m'affolai-je."

Il se contenta d'un éclat d'hilarité en guise de réponse. Il tendit son bras droit, la paume ouverte à côté de son corps. Un torrent d'ombres rouges et noires tourbillonnait autour de sa main puis s'étala de part et d'autre de son poing. Une faux couleur pourpre, maculée du sang de ses martyrs apparut. Tout en passant sa langue pointue sur le pourtour de ses lèvres pincées, il lança un regard assassin à sa proie. Ses pupilles frétillèrent d'excitation puis il reprit sa course effrénée, la lame aiguisée de son arme tournée devant lui.

"- Elle n'a plus aucune chance ! Que le spectacle commence !

- NON ! LAISSE-LA !"

DéchusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant