TROISIÈME

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Mon premier week-end à Bordeaux s'écoule en douceur, je partage mon temps entre rangement des cartons et visite de la ville. J'ai déjà parcouru une bonne partie du centre historique et me suis émerveillée devant l'architecture très diversifiée de Bordeaux. Certains bâtiments sont remarquables tellement ils sont minutieusement façonnés.

Demain, c'est ma rentrée. J'ai réussi à dégoter un job chez les pompiers, c'est une expérience totalement différente de celles que j'ai pu connaître mais elle me semble très intéressante. Ce métier s'éloigne complètement de mes habitudes, je ne connais pas encore l'adrénaline et le courage et il me semblait primordial de prendre une toute autre direction que mon train de vie quotidien.

Mon petit appartement en plein centre-ville est constitué de trois grandes pièces, le salon partageant le bar/cuisine, la salle de bain et ma chambre dans laquelle j'ai réussi à loger un grand lit double. Ma situation est très avantageuse, j'ai eu beaucoup de chance que Rémy me dégote ce petit bijou.
Après m'être préparée un plat de pâtes à la carbonara, je m'installe devant une émission de télé-réalité si entraînante que je finis par m'assoupir au fond de mon canapé.
Par préventions du réveil relativement tôt, je préfère aller me pelotonner dans mon lit et me reposer un maximum avant la conséquente journée qui m'attend.

C'est au moment où je suis étalée en étoile sur le matelas, la couette remontée jusqu'au menton, que le visage de Paul apparaît sous mes paupières closes. Je le revois, blotti contre Iris, le sourire aux lèvres, et la flamme crépitant au fond de ses pupilles... Cette flamme qui s'est éteinte le jour où il a claqué la porte de notre appartement.
Ces pensées me tourmentent et m'empêchent de dormir, le revoir m'a fait raviver des sentiments que j'étais parvenue à dissimuler. Je ne dois pas replonger dans les périodes noires de notre rupture.

[...]

La sonnerie, bien que mélodieuse, de mon téléphone me tire cruellement de mon sommeil. Ma bouche est pâteuse dû à un sommeil profond et mes paupières encore si fatiguées qu'il est impossible de les desceller.
Dans un grognement rauque, je me redresse et m'assois au bord de mon lit afin de me frotter les yeux en baillant.

Grâce à une grande tasse de café et une bonne douche chaude, je parviens à me rendre à la caserne pile à l'heure. Les locaux sont immenses et il me faut alors me renseigner auprès du concierge qui prend plaisir à m'indiquer où se situe le bureau du boss... sûrement heureux de pouvoir rendre inhabituelle sa journée.

Je me rends sans plus attendre au premier étage et frappe à la porte du fond. Une voix grave me demande d'entrer.
Je pousse la porte et aussitôt, l'homme en uniforme de pompier se lève pour me tendre sa main. Avec énergie, je la secoue.

« Bonjour, je suis Madame Sanchez, je suis là pour l'empl...

-Oui bien-sûr, je vous attendais ! Bienvenue, prenez-place. m'accueille-t-il, le bras tendu vers l'imposant fauteuil rangé face au bureau.

Docilement, je m'y installe, goûtant au confort revitalisant après cette course contre la montre.

« Je vais d'abord ressortir votre dossier... » marmonne-t-il, à lui-même.

D'une main agile, il étale une pochette face à lui et en sort deux feuilles A4 où sont renseignées mes coordonnées.
Il les balaie des yeux puis s'accoude à son bureau, prenant le temps de me sourire.

« Nous avions convenu au téléphone une période d'essai de deux mois, puis si tout se passe bien... Un CDD d'un an, c'est bien ça ? » déclare-t-il, le ton posé.

Je joins mes mains sur mes genoux afin de me donner une contenance et approuve ses paroles d'un hochement de tête. Il débute alors un monologue afin de m'expliquer l'organisation de la caserne, étant divisée en secteurs, des règles imposées aux sapeurs-pompiers ainsi que tout ce qui peut m'être utile.
Il finit en m'informant que le chef de mon secteur sera là pour me guider durant les premières semaines.
Je le remercie chaleureusement et quitte son bureau sous ses instructions, je dois désormais me rendre à l'étage du dessous où m'attendra ma nouvelle équipe.

« H ?! C'est pas vrai ! »

Interpellée, je me tourne vers cette voix enjouée et tombe nez à nez avec un petit homme au sourire rayonnant.

« T ? Tu travailles ici ? lui demandai-je aussitôt, surprise de le rencontrer ici.

-Oui, je suis le chef du secteur 3. Et toi, qu'est-ce que tu fais là ?

-Je suis la petite nouvelle et je crois que j'ai trouvé mon guide. répliquai-je avec un grand sourire.

-Tu crois qu'il s'agit d'une simple coïncidence ? » me demande-t-il, l'œil joueur.

Je hausse les épaules, l'air innocente. Il pose alors une main sur mon épaule, et s'enthousiasme alors de me faire visiter les locaux. Nous déambulons tout d'abord dans le couloir principal de notre secteur où logent des bureaux, un vestiaire dans lequel sont entreposés les uniformes des pompiers ainsi qu'une immense salle d'entraînement.
Il s'émerveille sur chacune de ses explications, il semble si passionné par son travail qu'il en oublie ses difficultés et je trouve cet engouement magique.

Une fois avoir enfilé le t-shirt à l'effigie du sapeur-pompier et un pantalon assorti, T m'entraîne dans son bureau où il me tend un talkie-walkie.

« À accrocher à ta ceinture, si on a besoin de se joindre en tout urgence ici ou sur le terrain... C'est par ce biais là. » m'explique-t-il très sérieusement.

Je secoue docilement la tête, attentive à chacune de ses paroles. Soudain, son talkie-walkie grésille et émet le son d'une voix ordonnant le départ de deux pompiers au secteur 3. Pas de temps à perdre, T m'entraîne dans les couloirs dans une course effrénée.

Nous dévalons les escaliers à toute vitesse puis T s'empresse de coulisser une immense porte de garage et offrir à mes yeux un gigantesque hangar renfermant une quinzaine de véhicules de pompiers. Pas le temps de s'arrêter sur d'autres détails, T me tire avec entrain vers le premier camion.

« Je t'expliquerai tout en route, monte ! »

Je m'exécute, grimpe côté passager et m'émerveille du véhicule suréquipé. T est concentré sur la conduite de cet énorme engin, il a les deux mains encrées sur le volant et les deux yeux rivés droit devant lui.

« On a une dizaine de minutes de route, un appartement a pris feu dans le centre... L'autre équipe avec le FPT arrive juste après nous. Tu veux bien mettre le gps en route avec cette adresse s'il te plait ? »

Je m'étais renseignée un peu avant d'intégrer les pompiers et me rappelle que le FPT, Fourgon-Pompe Tonne est une sorte de camion transportant plusieurs milliers de litres d'eau.

Sans plus attendre et sortant de ma parenthèse "culture", je me penche sur le petit écran incorporé au tableau de bord et y entre l'adresse affichée sur le téléphone que m'a tendu T. Aussitôt, la voix électronique nous demande de tourner à gauche.
T manie le véhicule habilement, il parvient à se faufiler parmi les voitures puis les passants qui nous laissent docilement passer.
Le lieu de l'incident grouille de monde, agglutiné face à un immeuble, certains capturent l'instant, d'autres ont l'air angoissé.

T s'avance le plus proche qu'il peut et klaxonne pour éloigner les passants. Nous descendons une fois sa manœuvre faite. Les flammes impressionnantes jaillissent par les fenêtres, grandes bouches crachant férocement ses braises.
Alors que T s'approche du tuyau enroulé derrière le camion, une femme se jette sur lui; grande, perchée sur de hauts talons fragiles, un long manteau élégant... Je reconnais avec stupeur Iris, le visage mortifié de peur.

Il est temps de rallumer les étoiles Où les histoires vivent. Découvrez maintenant