SIXIÈME

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La sonnette stridente de ma porte me fait sauter jusqu'au plafond. Mon cœur bat tellement fort qu'il tambourine jusque dans mes oreilles.
Je me fixe une seconde dans le miroir, prends une grand inspiration et les fais entrer.
Iris est cachée derrière la carrure imposante de Paul, petite souris appréhendant la gueule d'un gros chat.

« Bienvenue... Je viens d'emménager alors il reste quelques cartons... Désolée. bredouillai-je, esquissant de grands gestes pour imager mes propos.

-Pas de problème... C'est déjà adorable de nous accueillir H... commence Paul.

-Oui, un énorme merci... On est gênés de devoir te demander ça... poursuit Iris.

-Aucun problème ! Ne vous en faites pas ! »

Ma voix était sûrement trop enthousiasme, je suis rongée par le malaise et le stress. Je n'arrive même plus à me contrôler, cet homme va me rendre dingue.

« Venez, je vous ai installés dans ma chambre... Vous serez mieux. »

D'un même élan, ils s'exclament en cœur :

« Surtout pas ! Garde ta chambre ! »

Leur empressement simultané me fait rester sans voix. Ils ont tous deux fait un pas en avant pour me rattraper.

« J'insiste, je me lève très tôt et ça sera plus confortable pour vous... »

Je ne leur laisse pas le choix en saisissant la valise d'Iris puis les guide jusqu'à ma chambre. J'ai changé les draps à toute vitesse et remis de l'ordre grossièrement.

« N'hésitez pas à utiliser la salle de bain quand vous le souhaitez, vos serviettes de bain sont posées sur le meuble. leur expliquai-je en frottant mes mains nerveusement.

-Merci infiniment H. » répond Paul, un sourire chaleureux faisant pétiller ses yeux bleus.

Je hausse les épaules et quitte la pièce, prétextant les laisser s'installer alors qu'une acidité dévorait mon estomac lorsque je commençais à me perdre dans son regard envoûtant.
Néanmoins, une vague de colère s'engouffre en moi. À cet instant, je me déteste d'avoir déménagé dans la même ville que cet homme, d'avoir postulé pour ce job et être évidemment tombée sur son appartement mais surtout d'avoir accepté de les héberger lui et sa copine. Pourtant, tout ceci n'est pas ce qui m'agace le plus mais bien ces petits jeux de regards qu'il essaie d'entretenir avec moi.

« Je peux t'aider à préparer le repas ? »

Le son de sa voix me sort brutalement de ma rêverie. Mes mains se sont serrées sur le plan de travail.

« Euh ouais... Bien sûr. J'avais prévu de faire pâte bolo, ça te va ? Iris aime ?

-C'est parfait ! Elle adore ! »

Il relève les manches de sa chemise et découvre alors ses avant-bras sillonnés de veines, me laissant percevoir un tatouage bracelet que je ne connais pas un peu avant son coude.

« C'est un nouveau... Tu te souviens que j'avais pour objectif de le faire ? m'explique-t-il, sûrement interpellé par mon indiscrétion.

-Ah, non je ne me souvenais plus mais il est joli. »

J'ai pris ma voix la plus neutre possible, bien sûr que je me souvenais du désir qu'il portait à ce tatouage... Je ne sais combien de fois il me l'a répété.
Il semble un peu déçu, et sa réaction me réchauffe le cœur comme jamais; signe que je compte encore un tout petit peu à ses yeux.

« Tu peux couper ces tomates ? » lui demandai-je en tendant trois gros légumes bien rouge en sa direction.

Il se met aussitôt au travail, le visage concentré sur chacun de ses gestes. Je profite de cette implication pour le détailler un instant, le corps toujours bien sculpté et le visage si minutieux... Ses lèvres retroussées, ses longs cils et ses cheveux relevés à l'aide d'un gel léger, il n'a pas changé depuis qu'on s'est quittés... Seulement grandi, je l'espère.

« Du coup, tu travailles dans la photo ? l'interrogeai-je en saisissant les oignons dans le bac du frigo.

-Oui c'est ça, j'ai mon petit studio et parfois j'expose mais il faut que j'apprenne à me faire connaître... J'ai commencé par le biais des réseaux sociaux.

-Et ça marche ?

-Les follows et les abonnés augmentent petit à petit oui, mais c'est pas encore suffisant pour que j'exerce cette passion en métier.

-Tu photographies quoi ?

-C'est une interview ou quoi ? » réplique-t-il, un sourire joueur en coin.

Je hausse les épaules pour lui montrer que sa raillerie ne m'atteint pas.

« Je m'intéresse, c'est déjà gentil de ma part. » rétorquai-je, les yeux tournés vers lui.

Une douleur me parcourt toute entière en une fraction de seconde, je crois d'abord au regard brûlant de Paul mais lorsque je baisse les yeux sur les oignons blancs, une goutte rouge dégouline sur leur peau lisse.
Je suis prise de vertiges lorsque je suis confrontée à l'entaille profonde cisaillant mon index.

« H ? Tu t'es coupée ? s'exclame Paul, paniqué. Viens là ! »

Il saisit mon bras et me tire vers l'évier où il allume l'eau pour y passer mon doigt.

« Il faut désinfecter, tu as ce qu'il faut ? poursuit-il.

-Oui oui mais t'en fais pas... C'est rien, je vais y aller.

-Nan nan dis moi où c'est. »

Sa volonté de bien faire n'a pas non plus disparue depuis ces dernières années, je lui indique alors l'emplacement du désinfectant.
Le mur séparant la cuisine et la salle de bain est relativement fin et nous laisse entendre l'eau couler, signe qu'Iris est sous la douche. La voix de Paul résonne ensuite dans la même pièce, je ne parviens malheureusement pas à distinguer ses mots. Il revient dix secondes plus tard, un coton imbibé de produit désinfectant ainsi qu'un pansement.

Il saisit ma main avec délicatesse et applique le cercle de coton contre ma blessure, m'arrachant une petite grimace au passage de l'alcool sur la plaie ouverte.

« Pardon, ça va ? » s'inquiète-t-il, la voix pleine de douceur.

Je hoche la tête, hypnotisée par l'océan de son regard. Le temps semble s'être arrêté et une bulle s'être formée juste autour de nous.
Le contact de sa peau me fait raviver des sensations et des sentiments enfouis, des milliers d'images, des fragments de moments m'explosent aux yeux à la manière d'un vieux film qu'on rembobine.

« H ? Tout va bien ? me réveille Paul, un sourire magnifique étirant ses lèvres.

-Super, merci beaucoup... Bon je crois qu'on a un repas à finir. » me rattrapai-je aussitôt en reprenant le découpage de mes oignons.

Iris est sortie de la salle de bain aussi éclatante qu'une pierre précieuse, ses grands yeux non maquillés mis en valeur par la platitude de ses cheveux mouillés brillaient d'une lueur féerique. Paul s'est empressé de la prendre dans ses bras et de l'embrasser tendrement, me faisant l'effet d'un coup de poignard en plein cœur.
Pour réanimer mes membres engourdis, j'ai servi les pâtes et me suis installée à table.

Il est temps de rallumer les étoiles Où les histoires vivent. Découvrez maintenant