Il est temps de rallumer les étoiles

DIXIÈME

Ce week-end, Iris n'est pas là. Elle rend visite à sa sœur qui habite à Toulouse et ne rentrera que dimanche très tard. Tout ceci signifie que je vais devoir partager d'affreux têtes à têtes avec Paul, aussi inquiétants qu'excitants.
Il m'a proposé d'inviter Camélia et Rémy, prétextant qu'il ne les a pas vu depuis un bout de temps... Je pense plutôt qu'il a la trouille de se retrouver seul avec moi.
J'ai évidemment accepté sa proposition, soulagée. Et heureusement, le couple est disponible ce vendredi soir.

« Je me rappelle que Camélia aimait le Chili con carne, c'est toujours le cas ? me demande Paul en arrivant dans la cuisine en t-shirt blanc, comme en plein été.

-C'est vrai, c'est son plat préféré. J'ai les ingrédients, ça te tente ? »

Il me répond d'un simple sourire. Je sors la boîte de haricots rouges, la viande hachée, les oignons, un poivron et des tomates. Mon bar cuisine n'est pas très grand, et Paul a une présence très forte. Je ne sais pas si je trouve ceci agréable ou plutôt déstabilisant.

« Ça avance avec Tobias ? » m'interroge-t-il, un grand couteau en mains, prêt à découper les oignons.

Je lui jette un œil, il a un léger sourire étirant le coin de ses lèvres. Tobias a dû lui raconter.

« Dans quel sens ça devrait avancer ? rétorquai-je après avoir saisi la boîte de haricots.

-Arrête tes bêtises H, tu sais de quoi je parle.

-Je me sens bien avec Tobias mais ça s'arrête là. »

Il a levé les yeux vers moi, pas convaincu me semble-t-il.

« Il m'a dit que vous vous étiez embrassés. »

Je déglutis péniblement, prise de bouffées de chaleur étouffantes.

« Ah ouais je vois... soufflai-je. Il est comme ça.

-Ne me dis pas que toi tu ne confies rien à Camélia.

-Enfin... Ça n'a rien avoir. C'est Tobias qui a fait le premier pas, et puis on en a jamais reparlé.

-Il a compris autre chose alors.

-Misère. » soupirai-je alors en levant les yeux au ciel.

Paul a haussé les épaules, affairé avec précautions dans le découpage des oignons en lamelles. Son dos noueux de muscles tire sur son t-shirt, et mes yeux attirés par sa force naturelle ne le lâchent plus.

« H... Je voulais te proposer quelque chose. reprend-t-il, me sortant de ma rêverie.

-Je t'écoute. répondis-je après m'être raclée la gorge et avoir attrapé une poêle dans le tiroir.

-Je... Hum... bafouille-t-il. J'ai besoin d'un modèle pour mes photos... Et j'ai pensé à toi... enfin si ça te tente ? »

Une longue seconde s'écoule avant que je réalise l'ampleur de sa demande. Alors... S'intéresse-t-il encore à moi ? Je me rappelle qu'il aimait à la folie prendre des photos, de tout mais surtout de moi... À chaque moment de la journée, toujours lorsque j'y m'attendais le moins et certains clichés sont tellement fort que l'émotion se transmet presque naturellement.

« Pourquoi ne demandes-tu pas à Iris ? répondis-je aussi idiote que je le suis.

-C'est à toi que je propose là. T'es ok ou non ?

-Euh... Ben ouais, bien sûr avec plaisir. »

Il me remercie, la mine réjouit. Cet homme est incompréhensible, Iris est une pépite tellement elle brille de mille feux et quoi, il préfère me choisir.

« Il y a quelques jours, j'ai retrouvé le disque dur où toutes nos photos étaient stockées. Il y a un quelque chose chez toi qui anime le cliché... Je ne saurais dire quoi. » m'explique-t-il.

Ses paroles sont très fortes, et ne cessent de se répéter en boucle dans ma tête. C'est un sacré compliment qu'il vient de me faire.

Vers 19h30, Camélia et Rémy frappent à la porte. Finissant de faire cuir le riz, c'est Paul qui les accueille. J'entends le rire de Cam qui me fait immédiatement sourire, et quelques secondes plus tard, ses lèvres se sont posées sur ma joue.

« Bonsoir ma grosse, mmh ça sent terriblement bon ! s'exclame-t-elle, déjà prête à ouvrir le couvercle de la cocote. Ne me dis pas que... Oh vous êtes les meilleurs ! »

Elle rejoint le salon en courant.

« Rémy ! Rémy ! vocifère-t-elle. Devine quoi, et ben ils m'ont fait un chili ces amours ! »

Paul éclate de rire, et ça me fait quelque chose. C'est la première fois depuis qu'on s'est retrouvés qu'il rit de cette manière, aussi franchement qu'il y a quelques années.

Je les rejoins un instant plus tard, une bouteille et quatre coupes de champagne entre les mains. Rémy se charge de l'ouverture de la bouteille.

« Je suis trop contente qu'on soit de nouveau réunis, comme avant. » lance Cam après avoir pioché une noix de cajou.

Un blanc s'installe lourdement, Cam n'a sûrement pas pesé le poids de ses paroles mais Paul, Rémy et moi avons perçus le malaise... Ce dîner ne sera pas comme avant et il ne le sera jamais plus.

« Enfin... Je voulais dire, entre amis quoi. se rattrape-t-elle, la noix toujours entre ses doigts, soudainement plus appétissante.

-On avait compris ne t'inquiète pas Camélia, et j'avoue que ça m'avait manqué ! rétorque Paul, levant sa flûte avec un grand sourire. À notre amitié alors ! »

Nous trinquons alors avec entrain et dégustons ce champagne aux mille saveurs.

La complicité qu'avaient Paul avec Rémy semble encore fragile mais au fil de la soirée, elle tente à se solidifier et ça me fait chaud au cœur. D'ailleurs, nos souvenirs resurgissent par vagues, engrenant alors encore d'autres souvenirs et d'autres souvenirs.
Paul a l'air nostalgique, il y a une lueur spéciale dans ses yeux... une flamme naguère éteinte qui s'est soudainement rallumée.

Notre chili con carne est excellent, et Cam se régale tellement qu'elle se ressert. Cette soirée m'est revitalisante, pouvoir revivre ces moments-là entourée de mes meilleurs amis me semblaient tout à fait impossible et voilà que la vie en a décidé autrement.

Vers minuit, Rémy et Camélia regagnent leur chez eux après de longs remerciements. Ils nous promettent de nous inviter à leur tour. C'est avec plaisir que nous acceptons.

Paul m'aide à débarrasser la table et en un bon quart d'heure, tout est fait. Il a toujours été très efficace et dévoué... Je redécouvre chaque jour ses qualités mais aussi ses défauts... malgré tout attachants.
Je retombe chaque jour un peu plus amoureuse de lui, sensation très dangereuse.