Un.

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Quand j'étais petite, le passé pour moi c'était un peu comme la nuit noire, ça fessait déjà peur sans que je sache bien pourquoi. À toutes mes questions, ma mère répondait lèvres pincées, visage fermé ou pire les larmes aux yeux.

« C'est du passé, ça ne te regarde pas. »

Ça me regardait, je le sentais, comme un œil qui surveille. J'avais besoin de savoir. Alors je me suis inventé des histoires ou pour mieux dire, je mentais. Tout le temps à n'importe qui et pour n'importe quoi. Ma mère était paraît-il, morte de honte.

« Mais où tu vas chercher des histoires pareilles ? »

Je n'en savais rien, je ne voulais pas faire honte à ma mère. J'étais punie ? Je recommençais. J'allais au collège du coin. Ce qui désespérait maman. J'étais « mélangée » avec ceux de la cité Paganini coincée entre le périphérique et le boulevard Davout à la porte de Montreuil, ceux que je côtoyais depuis toujours. Maman, et moi, on habitait en bas de la rue des Pyrénées dans un immeuble en briques rouges des années 2000 pas vraiment chic, mais un peu moins pauvre. Elle ne voulait pas que je me mêle à tous ces gens-là, les Arabes, les Maliens, les Sénégalais et les autres qui vivaient en famille, retournaient au bled et parlaient la langue de leur pays. Moi, j'me sentais comme eux. Ou j'aurai tant aimé. Je rêvais de m'intégrer, mais je ne savais pas de quel côté.

Ma meilleure amie, c'était Sinem Boussaïd. Elle n'était jamais venue à la maison. Dès que ma mère n'était pas là à cause de ses gardes de nuit à l'hôpital, je filais chez Sinem. J'avais l'impression d'avoir grandi chez elle. Là-bas au cœur de sa cité dans la tour numéro quatre, j'avais l'illusion d'avoir une famille. Un grand frère Yanis et quatre petites sœurs. J'avais quinze-ans quand maman a fini par m'interdire de la fréquenter parce qu'elle venait de Paganini. Parce qu'elle fêtait l'Aïd. Parce qu'elle parlait arabe. Parce qu'elle avait une famille, un frère et des sœurs. Sauf que ma mère ne m'a pas dit tout ça. Elle s'est contenté de marmonner qu'elle la trouvait envahissante.

Lol, elle avait dû la voir trois fois dans sa vie ! Ce jour-là, j'avais au moins acquis une certitude : ma mère savait mentir aussi bien que moi. J'ai continué à voir Sinem. Sans lui avouer que maman me l'interdisait. Je croyais que ça n'avait aucune importance. Qu'elle comprenait sans que j'aie besoin de lui dire. Qu'elle savait que je n'y étais pour rien. Je croyais aussi que chez Sinem, c'était un peu comme chez moi. Que sa famille était un peu la mienne. Qu'un jour, j'épouserais son grand frère Yanis et qu'en serais presque sœurs. Je croyais tout ça, de toutes mes forces, mais je me racontais des histoires. On dit souvent que la vérité fini toujours pas éclaté.

Comme si elle pouvait apparaître un bon matin sur le pas de la porte, les poches plein de cadeaux. J'en ai souvent rêvé. Cette vérité-là, avait les contours flous du souvenir que j'avais gardé de mon père. La vérité n'a jamais sonné à ma porte. Moi, il l'a fallu que j'aille chercher la vérité que je me batte pour la faire éclater. La vérité, ou ce qu'il en restait après tous ces mensonges..

Il me semble que c'est à l'année de mes quinze ans que tout a basculé. Chaque matin, avant d'aller au collège quand j'arrivais au coin de la rue j'me retournais juste avant de disparaître pour faire un signe à ma maman. C'était comme ça depuis toute petite. Un rituel incontournable. Elle était à la fenêtre avec sa petite silhouette le front posé sur la vitre. Hors de sa vue je pars rejoindre Sinem en bas de son immeuble. Ce matin-là j'ai été surprise de ne pas la voir. D'habitude, elle est toujours là avant moi. J'ai sonné chez elle mais personne n'a répondu. J'ai quand même décider de l'attendre.

Syra : Rien de plus qu'un baiserOù les histoires vivent. Découvrez maintenant