Sur le scooter, je n'ai pas arrêté de penser à ce qui venait de se passer. Je ruminais tout dans les sens.. Les mots, les sentiments et cette violence qui ne me quittait pas. J'avais envie de hurler, j'avais mal et ça ne servait à rien. Je me suis jetée sur le lit dans la caravane, roulée en boule sous la couette et j'ai pleuré un bon moment. Ayman est sorti et, quand il est rentré, je m'étais endormie. Il m'a réveillée pour me dire qu'il devait s'en aller. Je me suis approchée de lui et j'ai posé ma tête sur son épaule, j'lai senti frissonné, il fallait que je lui dise, je ne voulais pas tricher :
Moi - Je sais pas ce que je veux, ni ce que je fais..
Ayman - J'te demande rien.
Moi - Si, tu me demandes. Mais moi, chuis paumée, faut que j'trouve une solution, je ne peux pas finir ma vie ici.. C'est ça qui compte.. Et puis, j'ai tellement peur de tout. Je ne sais ce que sens, une fois, c'est oui, une fois..
Ayman - Tu m'prends pour qui ?
Je l'avais vexé, je me suis relevée un peu pour voir la tête qu'il faisait.
Moi - Pourtant, j'en ai envie..
Ayman - Laisse tomber.
Moi - Pourquoi tu fais tout ça pour moi ?
Ayman - T'es vraiment connes des fois.
Il est parti en claquant la porte. Je ne l'ai pas revu pendant trois jours. J'ai encore passé une journée au fond du lit et puis, je ne sais pas comment, l'envie m'est revenue le matin du deuxième jour. Je me suis agitée dans la caravane, j'ai tout rangé, tout nettoyé, je me suis rendu compte que je m'apprêtais à repartir. Mais, avant de me rendre aux flics et de les laisser décider de ma vie, je me suis résolue à les affronter, ceux de ma famille. Seule. On était dimanche. J'étais sûre qu'ils étaient tous ensemble.
________________________________________________Ma main n'a pas tremblé quand j'ai sonné à leur porte. De l'autre côté de la cloison, j'avais aperçu le brouhaha tranquille d'une réunion de famille. C'est une petite fille qui m'a ouvert la porte. Celle qu'Aya tenait dans ses bras quelques jours plus tôt. Elle m'a regardée avec de grand yeux étonnés et a trottiné à toute vitesse vers le fond du couloir.
- Maman ? Il y a quelqu'un dehors..
Je l'avais suivie et je suis rentrée dans leur salon à peu près en même temps qu'elle. Ils étaient tous attablés, la télé allumée. En me voyant apparaître, ils ont restés bouche bée, la fourchette en suspens. J'ai dit la phrase que je rêvais de prononcer :
Moi - Je suis Syra. La fille de Maryam.
C'était trop tard pour me foutre dehors. Mais j'ai bien vu que, si j'étais restée sur le palier, c'est ça qui me serait arrivé.
- Qu'est-ce qu'elle fout là ?
J'étais debout, les joues en feu, le corps tendu, les poings serrés. Mais j'étais là, chez eux, et je prenais toute la place. J'ai défié du regard celui qui venait d'ouvrir la bouche. Il était affalé dans un fauteuil, arrogant, une caquette vissée sur la tête, un MP3 autour du cou et un portable à portée de main. Les traits encore fins, il aurait pu être assez beau sans cet air effrayant de stupidité. Il avait beau être le plus jeune, il jouait au chef de famille.
Moi - Alors, c'est toi, Karim ?
Ses yeux se sont arrondis, je ne m'étais pas trompée. J'ai enchaîné pour garder l'avantage :
Moi - Il fallait que je vous connaisse parce que moi, je ne suis pour rien dans tout ça.
J'avais balancé ma phrase à toute vitesse, les yeux rivés sur le mur derrière eux, juste au-dessus d'un buffet où s'entassaient toutes leurs photos de famille, mariages, vacances, photo de classe et le grand-père au centre. Tous là, souriants et content d'eux, au grand complet. Chez moi, les photos traînaient dans les tiroirs parce qu'on n'avait pas de quoi remplir un buffet. J'avais tout dit et ils ne répondaient rien. Un long silence prudent ou surpris. J'ai eu l'impression d'être un corps qu'on avait jeté dans un lac et qui remontait lentement à la surface. Aya avait ses deux enfants sur les genoux. Elle était la seule à ne pas me dévisager. Sans doute parce qu'elle m'avait reconnue et qu'elle n'en menait pas large. Après tout, c'est elle qui m'avait conduit jusqu'à eux, j'ai senti sa panique. À coté d'elle, son mari me dévisageait avec indifférence, mais il avait posé sa main sur l'épaule de sa femme.
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Syra : Rien de plus qu'un baiser
Non-FictionJ'crois bien que j'ai toujours eu de l'admiration pour ton frère. À cause ce malaise et de ce respect qu'il inspire à chaque fois qu'il apparaît quelque part, des têtes qui se baissent, des voix qui s'assourdissent. Les épaules en avant avec une fau...