Onze.

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Ayman - Déconne pas, c'est moi.

J'ai levé les yeux.

Moi - Ayman ?

Il m'a tendu un casque.

Ayman - Monte !

J'ai obéi, je suis montée et il a démarré.

On a roulé longtemps, en zigzag, se faufilant entre les voitures, c'était l'heure des embouteillages, le moment où les gens rentrent chez eux. J'ai fini par fermer les yeux et me laisser aller contre lui. Il n'a pas protesté. On est sortis de la banlieue, j'avais froid, j'en avais marre, je voulais m'arrêter, j'ai crié, mais il n'a pas réagi. Il n'y avait plus que son engin qui faisait du bruit dans la nuit noire. Et puis, on a traversé une sorte de gros village, on a contourné l'église, il a hésitait, à droite, encore à gauche, on a monté une rue, plein campagne, j'ai commencé à me demander où j'allais atterrir, on s'est retrouvés devant un grillage, il m'a fait signe de le suivre.

J'ai mis un petit moment à comprendre qu'on était arrivés dans un camping. De la pelouse, des places vide, quelques mobiles maisons, on a croisés des gens qui nous ont dit bonsoir et puis, au détour d'une allée, il s'est arrêté devant une caravane. Qu'il a ouverte. Avec des clefs. J'ai compris sans comprendre que c'était là que j'allais passer la nuit. À l'intérieur, tout était neuf. J'ai failli demander comment il faisait pour avoir des plans pareils. J'étais plantée au milieu d'une pièce minuscule, je me sentais en trop, encombrée de moi-même, n'osant pas penser que j'avais rien à foutre ici, et puis je me suis souvenue que je n'avais pas le choix, chez moi n'existait plus. Lui, il s'agitait pour brancher des fils, sortir des couvertures, et je le regardais faire, stupide. Il m'impressionnait, avec ses gestes sûrs et son air décidé. On aurait dit qu'il faisait ça tous les soirs, cacher des gens dans une caravane. J'ai marmonné :

Moi - Les autres, dans le camping..

Ayman - Ils te demanderont rien. Ici, personne ne veut savoir, c'est même la règle du jeux.

J'ai rien compris et puis, de toute façon, je n'avais plus la force de m'intéresser à quoi que ce soit. Je me suis laissé aller, c'est lui qui s'occupait de tout, je n'avais pas de soucis à me faire, même plus besoin de penser, il était là et ça faisait du bien. Il a sorti de quoi graïl.

Ayman - Si t'as les crocs.. Et puis pour le chauffage, on le branchera demain, ce soir, ça va être trop compliqué, j'me renseignerai.

Il a jeté un regard autour de lui pour vérifier je ne sais quoi et puis j'ai compris qu'il s'apprêtait à partir. J'ai paniqué.

Moi - Tu restes pas ?

Ayman - Non, j'me nashave. Faut que je rentre chez moi. Je reviens demain après les cours inshAllah.

J'aurais voulu garder un semblant de fierté, mais j'ai pas pu, je me suis jetée dans ses bras, il m'a serrée très fort. D'où ça venait, cette force qu'il avait ?

Ayman - Ça va aller, tu vas voir, ça va s'arranger.

Et il a disparu. Je l'ai regardé s'éloigner, marchant à grandes enjambées, épaules rentrées, mains enfoncées dans les poches, mon Ayman. J'ai refermé la porte sur la nuit noire, paisible et froide. De mon lit, je pouvais voir les arbres. J'ai frissonné et j'ai su que, malgré la fatigue, je n'arriverais pas à dormir. J'ai regardé les yeux ouverts jusqu'à voir le jour se lever. Recroquevillée sur moi-même et bouffée par l'angoisse. Qu'est-ce que joutais là ? Qu'est-ce que j'allais devenir ? Par moments, des larmes ont doucement coulé sur mes joues. Je me suis levée, me moucher et je suis retournée me coucher. Maman me manquait. Je l'ai imaginée, dormant sous somnifères, soulagée. Je n'aurais jamais imaginé que le plus difficile, ce serait de se débarrasser de moi. Crier ? Il n'y avait plus personne pour m'entendre, m'en empêcher ou se fâcher contre moi. Je ne leur pardonnerai jamais.

Syra : Rien de plus qu'un baiserOù les histoires vivent. Découvrez maintenant