Seize.

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Ayman & Syra en multimédia

Un mois plus tard, j'étais dans un train banlieue direction L'Isle-Adam. Pour voir ma mère qui était censée avoir repris goût à la vie dans une maison de repos, Les Volets Bleus. « Tu verras, c'est un endroit très cool, avait dit Mlle Tardi. Tu peux m'appeler Mariane, mais je préfère que tu me vouvoies ». Mlle Tardi n'arrête jamais de parler. Elle comprend mon mutisme, dû à mon "traumatisme". Elle pense qu'il faut du temps avant de se faire confiance, répète que c'est mon droit, tout ça, elle aimerait bien toutefois que je sois un peu coopérative. « Et surtout, tu sais, ce qui me ferait plaisir, c'est de te voir sourire ». Je lui en balance un, de sourire, pour qu'elle se taise enfin. Elle soupire et comprend, patiente. « C'est mon métier, tu sais. » Va crever !

Mlle Tardi est éducatrice. Celle que m'a attribuée le juge pour enfants qui s'est chargé de mon cas, une fois que je suis réapparue. Placement d'urgence dans une famille d'accueil, d'analyse et observation. La première semaine, comme j'étais en phase d'adaptation, elle est venue tous les deux jours prendre de mes nouvelles que je ne lui donnais pas. Elle se rabattait sur Mme Leconte, la veuve qui "louait" ses trois chambres vides à de jeunes égarés.

Je les entendais toutes les deux chuchoter dans un coin, et la grosse Tardi repartie, la veuve me proposait immanquablement d'aller se balader, ce qui voulait dire aller traîner dans les galeries marchandes du Auchan d'à côté. Je refusais, elle levait les yeux au ciel et fonçait dans son salon pour allumer la télé. Je les détestais. Autant que tous ceux de mon nouveau collège où je me suis rendu chaque jour, sans ouvrir un cahier, ni écouter les profs et encore moins lier connaissance avec qui que ce soit. Je n'avais rien à dire, à personne. Les flics, le juge et la grosse Tardi avaient tous voulu savoir ce que j'avais fait pendant ces quinze jours où j'avais disparu, je n'ai pas décroché un mot, je crois que c'est ça qui a fait qu'ils ont décidé de m'envoyer loin de chez moi.

J'avais écrit deux fois à Ayman, quelques mots pour lui dire où j'étais et que je pensais à lui. Je lui avais interdit de me répondre. J'aurais donné n'importe quoi pour le voir. Même si j'étais sûre qu'il pensait à moi. Même si j'aurais préféré l'entendre me le dire.

Au bout d'une semaine, la grosse m'a donné des nouvelles de ma mère. Elle allait bien. Elle n'était pas prête pour me voir. « Pas encore, mais on a bon espoir que ça viendra très vite ». Elle se rétablissait, fallait que je sois patiente, la dépression est une maladie qui se soigne avec le temps. J'ai attendu. Et je me suis retrouvée dans ce train avec la grosse Tardi. Elle y était déjà allée. Qu'elle avait vu ma mère, qu'elles avaient parlé de moi. Je regardé obstinément le paysage défiler derrière la fenêtre du train. Pendant ce temps-là, Mlle Tardi préparait le terrain, la voix embarrassée :

Mlle Tardi - Faut que tu saches plusieurs choses. D'abord, on ne lui a pas dit que tu avais disparu, juste après, parce que l'essentiel, c'est qu'elle se remette sur pied. Ordre des médecins. En un mot, il faut la ménager. Et il faut te préparer, peut-être que tu vas la trouver changée, on m'a dit qu'elle avait beaucoup maigri. Elle mange peu. Moi, j'ai insisté pour qu'elle te voie, ça me semble important de ne pas rompre les liens entre vous. Mais elle est très impressionnée, elle a peur de ton jugement. Elle n'a pas vraiment conscience du temps qui a passé, et puis..je suis sûre que ça va bien se passer, même si tu lui en veux et c'est normal, à ta place, je serais très en colère, mais ce n'est pas le moment de lui dire, crois-moi. Et puis, encore un truc, elle a des choses à te dire, elle aussi, mais faut que tu saches que, de toute façon, on en reparlera ensemble et que c'est avec moi, et le juge bien sûr, que tout ça va se décider. Tout ça pour te dire que, quoi qu'il arrive, on trouvera une solution, tu peux me faire confiance.

« Tu peux me faire confiance ». De quoi me donner envie de sauter du train en marche. J'ai senti qu'elle guettait une réaction, elle aurait aimé qu'au moins je pose une question, ou mieux, que je lui confie ma peur. Pour lui donner, enfin l'impression qu'elle ne se donnait pas tout ce mal pour rien. Je lui ai jeté un coup d'œil qui a tué tous ses espoirs. Elle a poussé un soupir fatigué et je ne l'ai plus entendue jusqu'à notre arrivée.

Syra : Rien de plus qu'un baiserOù les histoires vivent. Découvrez maintenant