Huit.

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J'ai mis sept jours à décider. Je croyais qu'il suffisait de partir pour oublier.. J'avais soigneusement préparé ce que j'appelais mon voyage. Il fallait que je m'en aille. Je n'avais plus d'autre solution que la fuite. Ici, il ne me restait plus rien. Et j'étais persuadée que j'allais devenir folle rester près de ma mère.

Je suis montée dans un train, un vingt-six novembre à neuf heures trente-huit, direction Saint-Malo. J'avais vue des photos dans la classe du prof' de Français. J'avais bien aimé. Comme si je cherchais sans le savoir un endroit pour m'empêcher de sombrer. Alors, Saint-Malo, c'était approprié. Et puis, je voulais voir la mer. J'avais pris mon billet. Il me restait cent vingt-deux euros cinquante. Toutes mes économies.

Je me suis levé un dimanche matin. Et je me suis retrouvée dans le train. Je n'en revenais pas moi-même. J'ai vérifié dix fois que j'étais à la bonne place, en ayant l'impression qu'on allait venir m'attraper par le cou et me ramener chez moi. Personne ne savait que j'étais là et il n'y aurait personne pour m'attendre à l'arrivée. J'ai failli redescendre. Je suis restée à ma place parce qu'elle était numérotée. Le train a fini par démarrer. J'ai regardé longtemps le paysage derrière la vitre, sans penser à rien, juste me laisser flotter.

J'ai sorti le livre que j'avais pris avec moi. Emprunté à la bibliothèque par hasard à cause du titre : L'Amant. Je ne savais rien de celle qui avait écrit ça, ni de quand ça datait. C'était pas ça qui comptait. Le titre avait suffi, histoire d'amour interdite. À la bibliothèque, je n'avais pas osé. Je l'avais fourré dans mon sac et, comme d'habitude, j'étais sortie sans rien dire à la dame qui avait baissé les yeux à mon passage. J'ai commencé à lire, quelques pages ont suffi.

Un homme à moustaches grises à ouvert la porte du compartiment, j'ai sursauté, j'ai levé la tête et croisé son regard, une seconde, il a dit « excusez-moi ». En faisant marche arrière, referment doucement la porte, j'ai souri en me demandant ce qu'il avait lu sur mon visage. J'ai à nouveau posé mes yeux sur le livre et j'ai senti ce truc étrange, la certitude qu'aucune rencontre, jamais, ne vaudrait celle des livres.

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Dans le livre, elle dit : " Très vite dans ma vie, Il a été trop tard", elle parle de son visage détruit, de sa mère malheureuse, de l'amant, elle raconte la jouissance, et la mère qui sait, qui la bat, et dit le déshonneur de sa fille, prostituée.

"J'avais en moi la place du désir. J'avais quinze ans le visage de la jouissance et je ne connaissais pas la jouissance. Ce visage se voyait très fort. Même ma mère devait le voir."

Jouissance : Plaisir sexuel intense, intellectuel ou moral.

Est-ce que j'avais ce visage-là ? Est-ce que c'était ça, la cause du désastre ? Le visage que j'avais et que ma mère n'avait pas ? J'ai fait quelque chose d'absurde.

Je suis allée m'enfermer dans les toilettes du train et je me suis regardée dans ce grand miroir ; ça sentait si mauvais, j'pleurais, percer le mystère de mon visage à moi, comme si j'avais pu déjà avoir le visage de celle qui savait, de Syra plus tard, mais ma mère était là, si loin pourtant, déjà si vieille, effaçant mes traits, j'avalais mes larmes, je n'ai rien vu ce jour-là que la honte de me chercher dans un miroir, de ne pas lui ressembler et cette certitude d'avoir toujours su que j'allais la trahir, elle, ma mère, mon amour et ma haine.

Je suis descendue à Saint-Malo, pile à l'heure prévue. Sur le quai, toute seule à regarder les autres vivre. J'ai trouvé le plan de la ville dans la gare et je suis sortie pour marcher. Je me suis dirigée vers les remparts. J'étais arrivée à la destination. Je voulais voir la mer. Et j'évitais de penser à ce que j'allais faire après. J'ai fait trois fois le tour des remparts, j'ai regardé le tour des remparts, la mer était de plus en plus loin, et j'ai fini par me demander ce que je foutais là. J'ai eu envie d'être ailleurs. Je ne savais pas comment faire pour revenir. J'ai pensé à mon père. Dans le fond, c'était peut-être juste ça. Peut-être qu'il n'osait pas revenir. J'ai repris le chemin de la gare. Et j'ai fait le chemin en sens inverse.

Syra : Rien de plus qu'un baiserOù les histoires vivent. Découvrez maintenant