Nous sommes dimanche après-midi, la journée est pluvieuse. Le mois de novembre touche à sa fin. Armée de mon parapluie, je me dirige vers le café qui se situe au centre du parc près duquel j'habite. En été, les promeneurs s'y arrêtent souvent pour se désaltérer ou déguster une glace en terrasse. Aujourd'hui chaises et tables sont rangées, le parc est quasiment vide. A l'intérieur il n'y a qu'un couple de sexagénaires attablé autour d'un café. Je monte à l'étage. Il n'y a personne, cette fois-ci je suis arrivée avant lui. Je m'assieds à une table pour deux le long de la baie vitrée. La vue sur l'extérieur est imprenable. Mon attention se dirige malgré moi vers la cage d'escalier. Ce n'est pas vraiment de la nervosité, plutôt de l'appréhension. J'ai un peu comme l'impression que c'est maintenant ou jamais. Soit ça se déroule comme la dernière fois et dans ce cas notre relation prend fin ici, soit je me livre et advienne que pourra. Ce n'est pas sa tête qui apparaît du haut des escaliers mais celle du serveur. Je commande un chocolat chaud. Pendant un instant, je me demande s'il va venir. Mais ce n'est pas son genre de poser un lapin. De ce que j'ai pu voir jusqu'ici, Emmanuel fait plutôt partie de la catégorie des gentlemen. S'il décidait de ne pas venir, il m'appellerait pour me prévenir. Je tente de réchauffer mes mains autour de la tasse que vient de m'apporter le serveur.
Enfin, il arrive.
-Salut, je suis désolé pour mon retard.
-Salut. Ne t'en fais pas. Merci d'être venu.
-Pour être franc je ne pensais pas que tu me recontacterais suite à notre dernière rencontre.
-J'ai changé d'avis. Je suis prête à te parler.
-Qu'est-ce qui t'a fait changer d'avis ?
-Toi.
Il me sourit. Le barman revient prendre la commande d'Emmanuel.
-Un café, s'il vous plait.
Je crois que l'homme l'a reconnu mais il ne le montre pas.
-Tu as choisi un coin bien tranquille, reprend-t-il, dès que nous nous retrouvons seuls à nouveau.
-Je ne voulais pas qu'on soit dérangés. J'aimerais te raconter une histoire, mon histoire en quelque sorte, si tu veux bien l'entendre.
-Bien sûr que oui. Tu as toute mon attention.
-Alors je vais commencer par le début.
Les mots, que j'avais peur de ne pas trouver, semblent glisser hors de moi.
-Mon père aimait profondément ma mère, de ce qu'on m'a raconté. Ils se sont rencontrés très jeunes, au lycée. Je ne crois pas qu'il ait aimé une autre femme comme il a aimé ma mère. Ils se sont mariés et dans l'année qui a suivi ma mère est tombée enceinte. Dans les minutes qui suivirent ma venue au monde, elle fit une embolie pulmonaire. C'est arrivé si soudainement, les médecins n'ont rien pu faire. Cette nouvelle a laissé mon père dévasté. De mon enfance, j'ai peu de souvenirs, si ce n'est l'absence de mon père. C'est Isabelle, ma nourrice, qui m'a élevée. Elle n'est plus là aujourd'hui mais elle a été comme une seconde mère pour moi. Elle veillait sur moi le jour mais aussi parfois tard dans la nuit. A l'époque, mon père était déjà dans la politique, à un niveau communal. Après la mort de sa femme, il s'est jeté à corps perdu dans le travail, peut-être pour échapper au chagrin. Je le voyais à peine. Même pendant les vacances, il s'arrangeait pour m'envoyer chez mes grands-parents. Je ne sais pas s'il a fréquenté d'autres femmes, en tout cas les seules personnes qu'il ramenait à la maison étaient des collègues de travail, qu'il invitait à dîner. Je raconte ça avec amertume aujourd'hui, mais quand j'étais petite je voyais les choses autrement. Quand j'ai été en âge de comprendre on m'a expliqué le drame qui entourait ma naissance. Je me jugeais responsable. Selon moi, mon père devait également me considérer comme la fautive. J'ai estimé qu'il ne m'aimait pas, qu'il me gardait rancune pour ce qui s'était produit. Pourtant je faisais tout pour attirer son attention. Je cherchais sa reconnaissance. Voilà pour mon enfance.
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Une deuxième chance
ФанфикAutomne 2016. En pleine campagne présidentielle, Maria fait la rencontre de celui qu'elle n'attendait plus. Au jeu de l'amour, elle se voit offrir une deuxième chance, peut-être la dernière.