Chapitre 4

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Le lendemain du déjeuner, je reçois un SMS d'un numéro inconnu.

« Bonjour c'est Emmanuel, ceci est mon numéro personnel. Je voulais simplement vous dire que j'avais passé un agréable moment en votre compagnie. Merci d'avoir accepté de partager ce repas avec moi.»

« Bonjour, c'est plutôt à moi de vous remercier. » En tant que gentleman, il avait insisté pour payer l'addition.

Après ce premier échange par téléphone nous restons en contact. Au début, on ne s'envoie que des SMS. Nos échanges n'ont rien de personnel. Nos principales discussions portent sur la campagne et ce qui s'y rapporte. Il nous arrive aussi de commenter les faits d'actualité. Au premier abord, je suis stupéfaite qu'il me parle aussi ouvertement, étant donné que je ne suis pas dans son camp et qu'on ne se connaisse que depuis peu. Même si sur le fond nos conversations n'ont rien de confidentiel, je pourrais très bien aller tout raconter à l'ensemble de mon équipe. Mais jamais je ne ferais ça. Après tout ce n'est pas mon rival personnel. En résumé, soit il me fait confiance soit il prend le risque.

Un vendredi fin d'après-midi il m'appelle pour la première fois.

« Bonjour, je ne vous dérange pas ? »

« Non pas du tout, je viens d'arriver chez moi. Que me vaut l'honneur de votre appel ? »

« Je souhaiterais avoir votre avis sur une question. »

« Mon avis ? »

Difficile de feindre mon étonnement. Je l'écoute avec attention lorsqu'il évoque le sujet de ses préoccupations. Je tente de lui répondre du mieux que je peux, le plus objectivement possible. Il semble satisfait. A la fin de notre conversation je lui pose quand même la question qui me taraude.

« Vous n'avez pas peur que j'aille raconter tout ça ? »

« Non, pourquoi ? Je devrais selon vous ?»

« Sans doute que oui, de manière générale. Vous savez aussi bien que moi que ce qui est d'ordre privé ou confidentiel ne le reste pas très longtemps lors d'une campagne électoral. Mais en ce qui me concerne, vous pouvez être tranquille. »

Un autre jour il m'appelle et me parle de son ambition pour le pays. Il va jusqu'à me présenter certaines des réformes qu'il voudrait entreprendre. Je découvre une autre facette de sa personnalité, celle d'un homme déterminé.

Un matin, assise à mon bureau, je décide pour une fois de prendre les devants. Jusqu'ici c'est toujours lui qui a pris l'initiative de me contacter. Je profite qu'il soit tôt et qu'il n'y ait pas grand monde au QG pour l'appeler. Le journal daté d'aujourd'hui ouvert devant moi, je lui demande s'il compte réagir au dernier scandale financier qui agite la sphère médiatique. Au fur et à mesure de la conversation, le sujet dévie sur des affaires moins politiques. Il me pose des questions sur ma vie en dehors du travail, puis me raconte le dernier livre qu'il a lu. Avant de raccrocher, il me fait une dernière requête.

« Une dernière chose, on pourrait peut-être se tutoyer »

« Oui tu as raison. A bientôt »

« A bientôt, passe une bonne journée »

Je repose mon téléphone, le sourire aux lèvres. Puis je vois Patrick qui arrive dans ma direction. Tout d'un coup, la culpabilité m'envahit.

-Qu'est-ce qui te rend si heureuse ? me demande-t-il de but en blanc.

-Oh rien de particulier.

-Tu parlais à qui ?

-A ma cousine, Cécilia.

Il faut que je le dise à Emmanuel. Non, je n'ai pas à justifier ma situation personnelle. Pourtant j'ai l'impression de lui mentir, par omission. Un jour, la situation risque de m'échapper.

-En parlant de la famille, n'oublie pas qu'on dîne chez ton père demain.

Comment pourrais-je oublier ?

Une deuxième chanceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant