Chapitre 14

827 31 1
                                    



Après cette dure journée, je rentre à mon appartement et m'enferme à double tours. Je troque ma robe bleue pour un legging noir ainsi que mon pull blanc crème favori. Je reste longtemps allongée sur le canapé à ressasser les récents évènements. Et si je n'avais pas demandé ma démission ? Non, ça j'étais certaine d'avoir eu raison de le faire. La situation était devenue intenable. La vérité c'est que j'aurais dû claquer la porte il y a bien longtemps. Et si je n'avais pas été directement le voir dans son bureau ? J'aurais très bien pu éviter une confrontation physique en lui remettant le document par un autre moyen. Avec des si on pouvait refaire le monde. Ma naïveté habituelle m'avait fait croire que tout se déroulerait sans encombre. Je n'avais en aucune manière envisagé que me retrouver seule avec lui dans ces circonstances pouvait représenter un quelconque danger. Pourtant, je connaissais d'expérience son caractère impulsif mais là nous étions en terrain public.

Je m'apprête à me réchauffer un bol de soupe quand je reçois un texto. Il vient d'Emmanuel.

« Je suis devant chez toi, on peut parler ? »

Devant chez moi ? Je me dirige jusqu'à la fenêtre. Une berline noire stationne devant l'entrée de l'immeuble. Que fait-il ici ? J'aurais à la limite compris qu'il m'appelle suite à mon départ précipité de cet après-midi mais pas qu'il vienne jusqu'à mon appartement. Cela me surprend et en même temps cela me touche.

Je lui envoie le code pour accéder aux étages ainsi que le numéro de mon appartement. Peu de temps après, on toque à la porte.

-Maria, c'est moi, dit-il à travers la porte.

Je déverrouille le loquet et le laisse entrer. Il est toujours en tenue de travail à part qu'il a laissé tomber la cravate. Je ne peux m'empêcher de l'admirer quelques instants. 

-Tu viens du QG ?

-Oui, on a été fort occupé. J'avais besoin de savoir comment tu allais.

-Tu n'étais pas obligé de venir jusqu'ici, répondis-je sur la défensive.

Je sens ses yeux qui me scrutent. J'ai l'étrange impression qu'il est capable de lire en moi comme dans un livre ouvert. J'aimerais lui dire combien sa présence compte pour moi.

-Je suis désolée d'être partie si précipitamment tout à l'heure, c'est simplement que je ne voulais pas t'embêter avec mes problèmes plus longtemps.

-Ne dis pas de bêtises. Je t'assure que tu as pris la bonne décision en venant directement me voir. Je veux t'aider. Mais d'abord, je voudrais savoir comment tu vas.

Il s'approche de moi. Instinctivement, je fais un pas en arrière. Je vois son regard s'assombrir un instant. Il doit avoir pitié de moi.

-Ça va merci, répondis-je simplement.

-Tu t'es fait agresser Maria. Est-ce que tu ne devrais pas voir un médecin ? Tu l'as peut-être déjà fait ?

-Non. Je n'ai pas besoin de voir un médecin et encore moins de lire de la pitié dans le regard d'une autre personne.

C'est sorti tout seul. Il me dévisage avec étonnement.

-C'est ça que tu crois ? Tu te trompes. Ce n'est pas de la pitié, simplement de l'empathie. Ce que je ressens c'est surtout du mépris envers un homme qui a osé lever la main sur une femme.

Je lâche son regard. Il se met à faire les cent pas dans la pièce.

-Tu dois porter plainte contre lui.

-Oui j'y pensé, avouai-je. Mais je ne suis pas sûre d'être prête à faire ça. On est en pleine campagne. Je ne veux pas être exposée. Encore moins comme la femme battue d'untel.

Il fronce les sourcils à ma remarque.

-Tu n'es pas obligé de faire ça publiquement. L'affaire peut rester entre la justice, lui et toi.

-Je n'ai plus envie d'avoir à faire à lui tout court. J'ai envie de passer à autre chose. Je ne veux plus le voir. Et puis qu'est-ce que ça changerait au fond ? Je suis sûre qu'il va s'en sortir d'une manière ou d'une autre.

-Si tu ne le fais pas pour toi, fais le pour les autres. Le problème avec la violence conjugale c'est que les victimes ne parlent pas.

Je lui lance un regard noir et me détourne. De la violence conjugale ? Vraiment ? Ses paroles sont dures. Il appuie sur la corde sensible, sur mon côté « je fais passer les intérêts des autres avant les miens ». Et je suis persuadée qu'il le sait. Il me connait mieux que je ne le croyais. Ses mots sont choisis pour appuyer là où ça fait mal comme un homme politique sait si bien le faire. Je sens sa présence dans mon dos.

-Je suis..., commence-t-il.

Je me retourne vivement, je sens les larmes me monter aux yeux. Je décide de vite changer de sujet. Je n'ai pas envie de craquer, pas maintenant.

-Et pour ma démission ?

-Personne d'autre n'est au courant ?

-Non. Je n'en ai parlé à personne d'autre que toi.

-Alors tu peux la rédiger à nouveau mais cette fois-ci tu la donnes à une tierce personne.

-C'est ce que j'aurai du faire aujourd'hui. Demain, j'y vais, je récupère mes affaires et bon vent, dis-je de manière résolue.

Il sourit timidement à mon changement de ton. L'atmosphère se détend. Un pli soucieux se forme sur son front.

-Maria, s'il te plait, promets-moi de ne pas y aller s'il est sur place.

-Il n'est pas question que je me retrouve au même endroit que lui. Il doit être en déplacement demain. J'étais censée l'accompagner d'ailleurs. Mais j'appellerai avant pour vérifier qu'il n'est pas dans les locaux. C'est promis.

-Si besoin est, je peux demander à un membre de mon équipe de sécurité de t'accompagner.

-Tu me vois débarquer avec un garde du corps dans l'enceinte des bureaux ? Franchement, je ne crois pas que ce soit nécessaire, dis-je en souriant.

-Si ça ne tenait qu'à moi, je t'accompagnerais moi-même.

Au fond, je trouve ça flatteur d'avoir un homme qui se soucie autant de votre protection. Le silence s'installe entre nous. Pourtant j'ai l'impression que lui comme moi aurions tant de choses à nous dire mais les mots ne viennent pas, pas ce soir.

-Bien, je n'ai plus qu'à te laisser alors, dit-il. Surtout, prends soin de toi.

-Toi aussi. Tu dois avoir besoin de te reposer.

-Mes nuits sont courtes. Je me contente en général de quelques heures de sommeil.

-J'ai entendu dire ça. Tant mieux, parce qu'un président n'a pas beaucoup de temps pour se reposer.

Il retrouve son sourire. Je réalise que je viens juste d'avouer que je le verrais bien à la place du chef de l'Etat.

Je le raccompagne sur le pas de la porte. Sur un ton plus sérieux je le remercie d'être venu. J'ai l'impression qu'il veut s'avancer vers moi mais se retient au dernier moment, pour ne pas revivre la même scène que plus tôt sans doute.

-Tu m'appelleras pour me donner des nouvelles ?

-Oui. Tu peux repasser demain, si tu veux bien sûr, murmurai-je.

Une deuxième chanceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant