Appartement, 6 mai 2015, 23h48
L'air frais du soir, s'engouffrait dans le salon, par la baie vitrée restée ouverte, faisant délicatement flotter les rideaux au rythme de la brise. Assis à la table du salon, le menton reposant dans ma main, je fixais l'horizon.
Ce soir, la ville était étonnamment silencieuse. Le ciel avait revêtu ses plus belles couleurs, et on pouvait apercevoir les silhouettes des oiseaux se dessiner au loin. Je n'arrivais pas à détacher mon regard de ce spectacle, qui, à lui seul, suffisait à alléger mon esprit de tout ce qui l'encombrait.
Une petite main vient timidement s'agripper au bas de mon t-shirt, tirant sur le vêtement dans l'espoir d'attirer mon attention. Je fus alors extirpé de mes pensées. Mes doigts délogèrent le bâtonnet de sucette d'entre mes lèvres, et mon regard se tourna vers le petit être tout près de moi. Il me regardait avec ses grands yeux ambres, remplis de fatigue, et pendant l'espace de quelques secondes, j'avais l'impression de le voir à travers lui. Mais finalement, c'est l'image de la mère du petit qui me revient en mémoire, avec ses belles boucles couleurs bronze.
Je posai le morceau de plastique sur la table, avant de glisser mes mains sous ses aisselles et de le hisser dans mes bras. L'enfant glissa alors ses petits bras potelés autour de mon cou, puis sa tête sur mon épaule. Je sentis ensuite ses doigts se refermer, jusqu'à être fermement accrochés à mon haut, comme pour m'empêcher de le poser. Il devait avoir peur que je lui fausse compagnie pendant qu'il dormait. Je restai immobile, à écouter le son de sa respiration contre mon cou, tout en jouant avec ses bouclettes du bout des doigts.
Quand il s'endormit enfin, je me levai avec une lenteur infinie, évitant ainsi de le réveiller, et me dirigeai vers la fenêtre. Le soleil avait terminé sa course derrière les immeubles d'en face, plongeant l'appartement dans la pénombre. Je fis glisser la baie puis verrouillai le loquet. Le froid ne m'atteignait pas, mais je sentais le petit corps de l'enfant frissonner contre mon torse, dès qu'une bourrasque de vent rentrait à l'intérieur.
Dans le plus grand des calmes, je me mouvai jusqu'au canapé et m'installai alors le plus confortablement possible, le petit rouquin toujours accroché à moi. Je glissai une main autour de sa taille pour éviter qu'il ne glisse pendant qu'il dormait, alors que de l'autre main, je continuais à jouer inlassablement avec ses boucles bronzes. L'enfant ne l'avait toujours pas lâché, je savais qu'il ne le ferait pas avant un long moment. Je restai donc là, sans bouger.
Dans les environs de minuit, une série de coups se fit entendre. Je me redressai avec difficulté, à cause du poids de l'enfant. Mécaniquement, je scrutai mon poignet pour vérifier l'heure avant de me souvenir que ma montre était restée posée sur le rebord du lavabo.
Je me levai, me dirigeant vers l'entrée. La clé tourna dans la serrure, et la porte s'ouvrit sur une jeune femme. La belle rousse m'adressa un sourire fatigué avant de diriger toute son attention vers le bambin endormie dans mes bras. Je pouvais sentir d'ici l'odeur de friture imprégnée sur ses vêtements, alors qu'elle déplaçait délicatement les mèches qui cachait le visage de son fils. Elle lui chuchota toutes sortes d'incantations et le détacha de moi avec une douceur infinie.
Alors que je les regardais, mes lèvres ne purent réprimer un léger sourire attendri. Pendant quelques secondes, mon regard croisa le sien, je me sentis alors honteux d'avoir été pris sur le fait. Inconsciemment, mon index gauche vient gratter l'arrière de mon oreille, alors que je me demandais comment me sortir de cette situation. Le coin de ses lèvres se leva, formant un mince sourire. Elle me chuchota qu'elle en avait pour deux minutes avant de disparaître dans l'appartement d'en face.
Je l'attendais, appuyé contre le cadran de la porte, le temps qu'elle aille coucher l'enfant. Mon regard balayait le couloir sombre, tentant de calmer les battements irréguliers de mon cœur. Je détestais me retrouver devant cette porte qui me rappelait sans cesse que le locataire des lieux avait changé.
Elle réapparue un peu plus tard, traînant légèrement des pieds sur le parquet usé. Mes yeux glissèrent rapidement sur elle. Elle avait profité de ces quelques minutes pour se débarrasser de son sac à dos, lui donnant ainsi une apparence plus adulte. D'un geste lent, elle ôta l'élastique, libérant ainsi ses longues boucles qui dévalèrent son dos jusqu'à la chute de ses reins.
« Longue journée ? » , lui demandais-je d'une voix rauque, brisant ainsi le silence.
Elle leva ses yeux ambrés dans ma direction et acquiesça d'un mouvement de tête. Sa main glissa dans la poche de son manteau, elle sortit un vieux téléphone à clapet qu'elle me le tendit.
« Merci pour le téléphone et pour avoir surveillé le petit » , me remercia t-elle d'une voix faible.
Elle m'avait l'air exténué, et triste, mais son regard me fit comprendre qu'elle ne voulait pas en parler. Je me contentai donc de récupérer l'appareil, vérifier mes messages, avant de le ranger dans la poche de mon jean. Elle était un petit bout de femme forte, sa capacité à encaisser allait bien au-delà de l'entendement. Elle n'avait pas besoin que je m'inquiète pour elle. Si un jour, elle avait besoin de moi, elle savait exactement où me trouver.
« Il me surveille plus que je le surveille. » , plaisantais-je.
Nous échangeâmes un simple sourire, un hochement de tête en signe d'au revoir, puis les portes se fermèrent. Je restai quelques instants, le dos collé contre l'entrée, parcourant des yeux l'appartement vide et sans vie, avant de finalement partir rejoindre mon lit.
Aujourd'hui, comme tous les jours qui l'avaient précédé, le téléphone était resté muet. Il n'avait pas eu le moindre message de sa part, pas le moindre signe de vie. Il est vrai que nous avions convenu de ne pas se contacter, évitant ainsi de se charcuter le cœur, mais je ne m'étais jamais douté que le silence pût être une aussi grande torture, et l'attente, le pire des bourreaux.
Pendant les premiers mois, j'espérais chaque matin le trouver près de moi, endormi à quelques centimètres de moi. Pouvoir le regarder, caresser ses cheveux, sentir son parfum bon marché, lui murmurer que je l'aime et finalement l'entendre râler pour d'obscures raisons dans une langue inconnue. Mais il n'était jamais là, j'étais seul dans un grand lit gelé, fixant un réveil qui refusait de sonner la fin de mon calvaire.
L'attente me rendait alors fou, le voyant partout et nul part à la fois, m'enchaînant à un téléphone qui refusait de sonner. Il m'était arrivait de passer des heures, prostré dans le canapé, à fixer ce fichu téléphone portable, espérant un appel. Finalement, après des semaines entières de douleur, l'appareil fut rangé au fond d'un tiroir, comme tout ce qui me faisait penser à lui.
Mais avec le temps, son absence m'était devenu supportable, et ce qui me paraissait impossible jusqu'alors était arrivé. Je m'y étais tout simplement habitué. Ma vie avait alors repris son cours, comme s'il n'avait jamais existé.
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Le dernier baiser
Romance" Quand le souffle nous manquait, nos lèvres se séparaient l'espace d'un instant avant de se retrouver inlassablement. Je sentais ses mains remonter le long de mon dos, s'accrochant à moi pour me retenir auprès de lui. Il ne voulait pas que j'interr...