8 . L'appel

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« C'est que maintenant que tu réponds ?! » S'énerva la voix à l'autre bout du fil « J'ai essayé de te rappeler tout l'aprem, mais tu n'as jamais décroché. Qu'est-ce qui te prend de me laisser des messages pareils sur mon répondeur ?! Je me suis fait un sang d'encre pour toi ! Et comme si ça ne suffisait pas, à cause de ça, je me suis fait réprimander toute la journée en cours, car j'étais incapable de me concentrer. »

La jeune femme ne répondit pas. Sa main, posée sur sa bouche, empêchait son interlocuteur d'entendre ses reniflements et ses pleurs qui reprenaient de plus belle.

Elle ne savait pas avec qui elle était en train de parler. Elle ne savait pas ce que racontait le fameux message sur le répondeur. Elle ne savait pas quoi répondre aux reproches. Elle ne savait pas comment lui dire qu'elle n'était pas la personne qu'il espérait tant entendre. Elle ne savait pas comment lui annoncer l'hospitalisation de l'homme ou même si elle avait le droit de le lui dire. Le nombre de choses qui lui échappaient, la dépassait.

Face à l'absence de réponses, ainsi qu'aux pleurs étouffés à peine audibles, l'homme se calma. Sa voix devient infiniment plus douce, et un brin d'inquiétude la faisait trembler.

« Je suis désolé, je ne voulais pas te gueuler dessus...» S'excusa t-il. « Mais tu m'as vraiment fait peur, j'étais persuadé qu'un truc horrible t'était arrivé. Tu ne m'as pas téléphoné pendant plus de 2 ans, et là, tu me laisses un message incompréhensible. Le son de ta voix aussi était étrange. J'étais à deux doigts de prendre un billet pour rentrer... »

Il n'en fallut pas plus pour que la rouquine comprenne de qui il s'agissait. Le propriétaire des cartons dans la chambre-débarras. Elle avait toujours cru qu'il était décédé. Elle les avait découverts hasard, alors qu'elle cherchait quelque chose dans le bazar sans fin qui régnait dans la pièce. L'homme avait soigneusement rangé toutes ses affaires dans des cartons. Des vêtements, des CD, des bibelots, des photos... Et des lettres. Beaucoup de lettres.
Les plus anciennes, légèrement jaunies par le temps, étaient toujours adressées à deux personnes différentes. Les dernières, toujours scellées, avaient toutes le même destinataire. La correspondance était devenue à sens unique. Elle en avait alors conclu qu'il était mort, et que l'homme continuait de garder ses affaires, incapable de s'en séparer. Il ne lui était jamais venu à l'esprit que le jeune homme pourrait toujours être en vie.

Cette découverte involontaire, elle l'avait toujours gardé pour elle. Cela s'expliquait par le sentiment de culpabilité à la pensée d'avoir en quelque sorte violé son intimité, mais aussi parce que ses cartons devaient être une plaie ouverte pour le professeur. Jamais, il n'en parlait, ne l'évoquait, ou le sous-entendait. Le seul indice qu'il laissait, s'était ces longues minutes qu'il passait à fixer, d'un regard vide, la porte de la pièce lors de leur café nocturnes certains jours... 

Lentement, elle ôta la main qui entravait sa bouche et essaya de parler. De formuler des mots pour le prévenir. Mais le seul son qui à franchir ses lèvres, était le gémissement qui accompagnait ses larmes. Elle voulait vraiment le lui dire, mais aucun mot ne parvenait à se former tellement elle pleurait. 

« S'il te plaît... Arrête de pleurer, parle moi... » L'implora t-il, « Ça ne te ressemble pas, tu me fais peur. Tu veux que je rentre ce weekend ? Je sais qu'on a prévu de ne pas se contacter jusqu'à mon retour définitif, mais... En plus, c'est horrible à quel point tu me manques. » 

Sa voix se brisa sous l'émotion.

« Pourquoi tu ne me réponds pas... ? Ça ne va vraiment pas ? »

L'inquiétude dans sa voix était palpable. Elle pouvait presque ressentir la détresse du jeune homme à travers le téléphone. Et pour la première fois depuis qu'elle avait décroché, il s'est tu. Il voulait la réponse à cette question, plus qu'à toutes les autres.

À l'aide de la manche de son pull, la rousse sécha ses yeux qui ne pouvaient plus verser des larmes une de plus. Elle prit une grande inspiration puis se fit violence pour dire la phrase qui était restée bloquée au fond de sa gorge si longtemps. Sa voix était rauque et cassée après avoir passé sa soirée à pleurer, mais elle s'en fichait. Elle voulait juste que le message soit transmis. 

« Il est à l'hôpital. »

Un long silence accueillit sa déclaration. Si elle en avait été capable, elle l'aurait répété au cas où la personne ne l'aurait pas entendue ou comprise, mais c'était tout simplement au-dessus de ses forces. Elle ne pouvait pas.

« Est-ce que je peux d'avoir l'adresse ? » Demanda t-il.

Il ne fallut pas longtemps pour qu'elle comprenne, à l'intonation de sa question, que le jeune homme essayait de contenir les émotions qui étaient en train de le submerger. Il était d'ailleurs évident qu'il réussissait cet exercice bien mieux que la rousse. À sa place, il n'aurait très certainement pas passé sa soirée à pleurer...

« Je vous l'envoie »

Il raccrocha directement après sa réponse, sans lui laisser le temps de rajouter un mot. Le bit incessant en fond, lui indiquait que la conversation était terminée et qu'elle devait elle aussi raccrocher. Ce qu'elle fit. Elle posa le téléphone à clapet en évidence sur la table basse, au cas où il lui viendrait à l'idée de la rappeler, bien qu'elle en doutait sérieusement.  



***

La fin pointe enfin le bout de son nez  ! ^^ 

Le dernier baiserOù les histoires vivent. Découvrez maintenant