Appartement, 6 Novembre 2016, 18h15
Les doigts de la jeune femme glissaient sur le rebord de la tasse de café fumant, dessinant des cercles invisibles sur la porcelaine. Sans un mot, elle fixait l'homme assis de l'autre côté de la table pendant qu'il regardait l'enfant jouant sur le sol. D'un œil attentif, elle analysait chacun de ses mouvements, expressions, regards, cherchant désespérément à entrer dans son esprit, pour comprendre ce à quoi il pouvait bien penser en cet instant. Ce petit jeu durait maintenant depuis plusieurs minutes, mais aucun des deux ne semblaient décidé à briser le silence. L'épais paquet de copies posé entre eux, formait ainsi une barrière infranchissable, ou que personne n'osait traverser.
Ce genre de situation n'était pas rare entre eux, l'homme n'étant pas très bavard, mais depuis peu, elle ne pouvait s'empêcher de remarquer que son charmant voisin n'allait pas bien. Son teint était pâle, ses joues, discrètement, se creusaient peu à peu, de larges bandes sombres apparaissent sous ses yeux. Au début, cela ne l'avait pas vraiment alerté, après tout, tout le monde avait de mauvaises périodes... Mais plus le temps passait, plus la situation se dégradait, au point où elle peut plus ignorer ce qu'elle voyait.
Il était impossible de ne pas voir, que la personne qu'elle avait connu si calme et posée dans le passé, était continuellement tendue et le moindre bruit, mouvement brusque, suffisait à la surprendre. Il portait continuellement d'épais pulls en laine dont les longues manches, pourtant beaucoup trop longues, peinaient à recouvrir la collection de pansements avait élu domicile sur sa main gauche. Il prétendait qu'il s'était malencontreusement brûlé, mais elle n'était pas dupe. Elle avait découvert la vérité lorsque dans un moment d'égarement, il avait enlevé un de ses bandages sûrement pour vérifier l'état d'une plaie, oubliant sa présence. Le doigt était recouvert de marques sombres, de boursouflures, de croûtes. Sous le choc, son cerveau avait dans un premier temps refusé de comprendre ce qu'elle voyait.
Mais, une fois rentré chez elle, seule dans sa chambre, fixant ses propres doigts, l'image qu'elle avait toujours eu de l'homme s'était alors peu à peu effritée, et la réalité dans toute sa grandeur et son horreur lui sauta aux yeux. Il avait tout simplement commencé par se ronger les ongles, puis quand ceux-ci sont devenu trop court, ses dents se sont attaquées à ses doigts. L'homme s'était mordu les doigts jusqu'au sang. Mais pourquoi ?! Rien ne lui venait à l'esprit.
Soudainement, le paquet grinça, son esprit arrêta de divaguer pour se focaliser sur lui, l'homme pivota sur sa chaise, se retrouvant face à elle. Son regard se plongea dans le sien. Une myriade de frissons lui parcouru le dos et ses épaules se mirent à sauter de manière incontrôlée. Un sourire amusé s'étira sur ses lèvres.
« Je vais te chercher un verre d'eau », l'informai t-il en reculant son siège.
Il contourna lentement le plan de travail au centre de la cuisine et revient avec une carafe d'eau et un verre. Il s'arrêta près de la jeune fille et remplit le récipient à ras bord, avant de le lui tendre. Elle se saisit de l'objet, un léger sourire aux lèvres.
« Merci », réussit-elle à articuler entre deux hoquets.
Il retourna poser la carafe dans la cuisine, alors que la jeune femme avala d'une traite le verre qu'il venait de lui servir. L'enseignant retourna ensuite à sa place, et dans un soudain élan de courage, il s'empara de la copie qu'il avait abandonné quelques minutes auparavant, de son crayon rouge, et reprit sa correction. Elle le regarda un moment griffonner dans la marge de la feuille double, puis le léger pli qui s'était progressivement formé entre ses doux sourcils à cause de la concentration.
Son regard finit par dériver sur le fameux tas de copies posé juste devant elle. La jeune femme avait l'impression que c'était il y a des années, le temps où elle était au lycée, tellement sa vie avait changé avec l'arrivée du petit. Son innocence dentant lui manquait, elle avait le sentiment d'avoir grandi beaucoup trop vite. Elle prit la feuille du dessus et commença à la lire, un léger sourire nostalgique aux lèvres.
Il ne lui fallu que peu de temps pour réaliser que le propriétaire de ce devoir n'avait absolument pas travaillé pour ce contrôle, elle en était même venue à se demander si le but de l'élève n'était pas justement de ne répondre à aucune des questions. Chaque réponse était plus fantaisiste que la précédente. La jeune femme due faire un effort considérable pour ne pas éclater de rire, évitant ainsi de déranger le professeur pendant sa correction.
Du coin de l'œil, elle surveillait l'homme de l'autre côté de la table qui, crispé sur son crayon rouge, lisait une copie. Qu'est-ce qui se passe dans ta tête ? Malheureusement, aucun de deux ne pouvait lire dans les pensées de l'autre, la question resta sans réponse. Elle poussa un léger soupire exaspéré, constatant que la situation lui échappait totalement, un élément lui manquait, mais elle ne savait pas par où chercher. Depuis leur rencontre, il était resté particulièrement énigmatique sur tout ce qui le concernait. Les seules choses qu'elle avait eu l'occasion d'apprendre sur lui, elle les avait apprises en l'observant.
Alors que le regard de la jeune femme était braqué sur lui, il glissa la jointure de son index entre ses canines. Rien qu'en le regardant, et malgré les couches de pansement opaques, elle avait mal pour lui.
« Ta main... Arrête », lui demanda, ne supportant plus de le regarder se faire du mal.
La remarque surprit le professeur qui détacha lentement les yeux de sa copie, pour la regarder elle. En réalisant ce que venait de dire sa voisine, il glissa sa main sous la table, sans doute gêné par la situation. Le cœur un peu plus léger, elle reprit sa lecture et ne pu voir la lueur de terreur qui passa dans les yeux de l'homme quand il remarqua la copie entre ses mains.
« Peux-tu reposer cette copie s'il te plaît ? » , demanda t-il en essayant de contrôler la voix tremblante.
« Deux minutes... J'ai pres... »
Si elle l'avait écouté, reposée la copie comme il le lui suppliait, elle ne m'aurait rien vu, jamais elle n'aurait su et en cet instant, elle ne serait pas là, au palier de son appartement face à une porte close qui ne s'ouvrira peut-être plus.Elle n'aurait pas vu, l'inscription en bas de page de la dernière page du devoir, écrit en lettres capitales. Celle qui était présente sur une quantité aberrante de copies, écrite de la main de ses propres élèves, et qui le blessait un peu plus profondément chaque jour.
Elle n'aurait pas vu, le regard meurtri de l'homme lorsqu'elle a ressenti le besoin de vérifier où était son fils, alors qu'elle savait aussi bien que lui où il se trouvait.
Elle n'aurait pas vu, ce même homme envoyer toutes les copies voler, et les papiers voltiger jusqu'au sol, sous les pleurs de l'enfant qui ne comprenait pas ce qu'il criait à sa mère.
Bref, elle n'aurait jamais su qu'il n'était pas un pédophile, un violeur ou encore un monstre, comme pouvait le prétendre le monde extérieur, mais seulement un être humain.
***
Et voilà la nouvelle suite ! Bon je vais essayer de ne pas tarder pour écrire la fin, maintenant que j'ai réussi à obtenir un peu d'inspiration ! Mais ne soyez pas trop impatient(e)s, j'ai un max de taf :)
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Le dernier baiser
Romance" Quand le souffle nous manquait, nos lèvres se séparaient l'espace d'un instant avant de se retrouver inlassablement. Je sentais ses mains remonter le long de mon dos, s'accrochant à moi pour me retenir auprès de lui. Il ne voulait pas que j'interr...