5 . Tennessee

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« Fais attention, c'est chaud », me prévint la jeune femme, en me tendant une tasse de thé fumant.

Je la remerciai un faible mouvement de tête, refermant mes mains gelées sur la porcelaine brûlante. Mon index s'enroula autour la ficelle, faisant remonter le sachet d'herbes à la surface. Alors que je fixais d'un regard sans vie la surface du liquide brunâtre, la rousse réajusta le plaid posé sur mes épaules, avant de plaquer pour la énième fois sa main sur mon front pour vérifier ma température. D'une main experte, elle remit en place les quelques mèches rebelles en travers de ma vue.

« Je reviens », m'annonçai t-elle d'une voix douce, avant de quitter la chambre.

J'écoutais le vieux parquet grincer sous ses pas, puis le silence s'installer dans l'appartement. Ma main s'agrippa au plaid l'empêchant de glisser une nouvelle fois. Je sentais la chaleur de la boisson se diffuser à travers mes doigts gelés. Une multitude de cicatrices en parcouraient la surface, leurs donnant un aspect peu esthétique. Mais je ne m'en préoccupais pas, car aussi, loin, que je m'en souvienne, ma main gauche avait toujours eu cette apparence.

La jeune femme revient au bout de quelques minutes, et s'assit sur le rebord du lit. Je sentais qu'elle voulait dire quelque chose, mais je n'avais pas envie de croiser son regard, pas envie de devoir lui expliquer ce qu'il se passait que ce soit ce soir, ou bien dans ma tête, ou encore dans ma vie. De la révélation, ces cicatrices sur ma main, de ces périodes où je ne sortais plus de ma chambre, de mon état général... J'avais besoin de cette distance pour me protéger, pour garder le peu de fierté qu'il me restait, et elle, elle était encore trop jeune pour oser la franchir de force.

Depuis plus d'un an, elle cherchait à me parler, depuis ce jour-là, mais jamais je n'avais essayé de me confier et ainsi de partager mon fardeau. Je préférais tout affronter seul, attendant le point de rupture, le moment où les épaules ne pourront plus rien supporter. Mais en attendant, les médicaments et les médecins m'aidaient à combattre cette chose qui gagnait progressivement contre mon esprit.

Plus le temps passait, plus je doutais. Des choses les plus insignifiantes au plus fondamentales, je n'étais plus sûr de rien. Je ne savais plus si j'avais envie de le retrouver et qu'il me voit tel que j'étais devenu. Il serait devenu quelqu'un, alors que de mon côté, je ne serais qu'un faible, un être insignifiant.

Au final, j'en étais venu à me poser la question du sens même de ce combat. Est ce que cela valait encore le coup de se battre ? N'était-il pas plus simple de me laisser porter par ce sentiment grandissant ?

Chaque semaine, mon médecin me rabâchait les mêmes consignes, encore et encore, et moi, je restais en silence à les écouter. Chaque mot était gravé en lettres capitales dans un recoin de ma mémoire, pourtant je refusais de les suivre. Je savais qu'il ne voulait que mon bien, mon bonheur, mais j'étais fatigué. Infiniment fatigué.

La fatigue me submergeait, engourdissant mon corps autant que mon esprit. Plus rien n'avait de réelle importance. Je voulais juste dormir, une heure, une journée, une semaine, un mois, une année, et que lorsque mes paupières se rouvriront, le monde de l'autre côté aurait changé. Mais à chaque réveil, la déception était immense.

Sa main frôla la mienne alors qu'elle s'empara du récipient auquel je m'accrochais inconsciemment. Mes doigts relâchèrent l'objet et elle le posa sur la table de chevet. Je n'y avais pas touché. Je devais bien avoir passé une dizaine de minutes le regard perdu dans le vide.

« Il est tard, je vais y aller. Je repasserais demain soir, du porridge t'attend dans le frigo », m'informa t-elle en se levant.

Je fis glisser la couverture de mes épaules, et la lui tendis faiblement. Elle s'en empara, pour la plier et la poser au pied du lit. Je m'introduis un peu plus profondément sous ma couette, et posa lentement ma tête sur l'oreiller. Elle commença à fermer tout doucement la porte, comme si elle avait peur que le moindre bruit me réveille, la pièce plongeait progressivement dans le noir.

« Quand revient-il ? » , murmurais je d'une voix quasiment inaudible.

Contre toute attente, la jeune femme entendit ma question et rouvrit la porte. La lumière du couloir illuminait de nouveau le plafond de la chambre.

« Qui ça ?» , me questionna t-elle, chuchotant presque.

« Mister Bouclette », répondis je, tournant la tête dans sa direction.

Elle s'appuya sur le cadran de la porte. À cause du contre jour, je ne pouvais pas distinguer l'expression sur son visage, mais je savais ce qu'elle ressentait en cet instant. La rousse passa sa main dans son cou, laissant ainsi paraître sa fatigue.

« Demain en fin d'après midi, à cette heure, il doit être en train de rêver au Père Noël », me révéla t-elle, une pointe de tristesse et d'amusement dans la voix.

Cette année, pour la première fois, elle avait laissé la prunelle de ses yeux au soin de ses parents pour qu'ils l'emmènent fêter Noël avec ses cousins et le reste de sa famille. La jeune mère avait longuement hésité à le laisser partir, et c'est le cœur en miette qu'elle avait finalement cédé à la demande de ses parents. Car s'ils avaient définitivement tiré un trait sur leur adolescente lorsqu'elle leur avait tenu tête pour garder l'enfant, ils avaient en revanche jamais pu renier ce petit ange bouclé. Il représentait en quelque sorte le dernier lien qu'elle entretenait avec sa famille.

« Il te manque ? » , lui demandais-je, même si la réponse me paraissait évidente.

« Bien sûr, c'est mon bébé. Comment pourrait-il ne pas me manquer ? »

« Le mien aussi me manque... » , murmurais-je, avant de me laisser emporter par le sommeil.


Le dernier baiserOù les histoires vivent. Découvrez maintenant