XVIII.

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Axel.

Il l'attend. Assis sur son lit, les mains sur les genoux, fébrile, anxieux peut-être, puis il se lève, il regarde par la fenêtre, les autres colocataires sont sortis, il n'y a qu'Annie qui s'active dans la cuisine, ça sent la tarte aux pommes et la cannelle, il inspire, il regarde l'heure, est-ce qu'il est trop tard, peut-être qu'il a sonné et qu'il ne l'a pas entendu, non, non, il l'aurait vu, mais alors pourquoi n'est-il pas là, il tourne en rond, il rôde, il erre comme un fauve dans le périmètre de sa chambre, il plie et déplie son pull, quelle heure est-il, je l'aurais entendu, c'est sûr, il ne viendra pas; et soudain la sonnerie brise le silence.

Il descend les escaliers, la porte est là, juste après le couloir, il attrape la poignée, la question d'Annie : « qui est-ce, Axel ? », la réponse avant d'ouvrir la porte, sans hésitation, dans un seul souffle : « un ami ! » et le battant qui s'ouvre vivement, Jean sur le porche dans la lumière de l'après-midi, ses yeux, un sourire, et un silence.

— Salut, Axel.

— Entre, je t'en prie. Fais comme chez toi.

— J'ai apporté des cookies. Tu aimes ?

— Oui, oui. Beaucoup, même. Merci.

Un deuxième sourire, plus long, plus grand.

— Je dépose ça dans la cuisine. Tu peux monter, si tu veux. Ma chambre est au fond du couloir. Il y a mon nom sur la porte.

— D'accord.

Jean disparaît à l'étage, comme une ombre, comme un fantôme qui semble avoir toujours été ici. Lorsqu'il pose l'assiette sur le plan de travail, Axel remarque le regard qu'Annie pose sur lui. Il souffle : « qu'est-ce qu'il y a ? » et la vieille femme détourne la tête.

— Je suis heureuse que tu te sois fait un ami.

Il répond : « moi aussi. », et il est sincère.

Dans sa chambre, Jean n'a pas osé s'asseoir. Il est debout, là où se tenait Axel quelques minutes plus tôt, près de la fenêtre, et il regarde le ciel. Il a effleuré du bout du doigt les livres qui s'entassent sur le bureau, a touché distraitement le tissu doux du pull qui était resté là, et désormais il l'attend.

Mais déjà l'autre est là, il referme doucement la porte, le battant reste ouvert de quelques centimètres, il s'avance, le regarde et s'avance encore, l'invite à s'asseoir, tu es ici chez toi, il répète, mais Jean est poli, il dit d'accord et merci, tu n'as pas à être gêné, alors il répète d'accord mais sans dire merci, et Axel paraît satisfait.

Et soudain, alors que Jean s'est enfin assis sur le lit, que son mollet touche l'avant-bras d'Axel, qu'ils sont seuls, il parle. Axel pense qu'il raconte bien, parce qu'il raconte avec passion, parfois il crie même, il vit l'histoire à chaque fois qu'il la raconte, sans s'altérer, sans que diminue la flamme qui l'anime, et il trouve belle l'étincelle qui brille dans ses yeux.

Il lui raconte l'histoire de l'Alchimiste, sans doute qu'il oublie des choses, ou qu'il les mélange, ou que les lieux sont étranges, mais ce livre l'a tellement touché que seul transparaîssent l'Espoir Invincible et l'Amour qui sont restés gravés dans son cœur. Et il ressent le sable du désert, le vent de l'oasis, le savoir de Santiago, il ressent tout car il lit avec son cœur, sans comprendre parfois, juste en cherchant à ressentir, dans son corps, dans sa chair.

— Les yeux nous font voir des belles tournures de phrase, des rythmes, des métaphores, des rimes. Mais le cœur, lui, nous fait connaître les sentiments. C'est avec lui qu'on comprend réellement, parce qu'il sait voir et écouter. Le cœur est le vrai cerveau de l'Homme.

Les InvinciblesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant