10. Le présent différent

1K 151 3
                                    

☃️

Une fois le large brouillard évanoui devant mes yeux, je  remarque que je me trouve quelques heures plus tôt. Je me vois MOI, en train d'appeler Kévin en hurlant comme une poissonière. Je n'écoute pas "Ken", je sais bien ce qu'il compte me montrer. Mais j'avais tellement faim ! Et tellement la flemme d'aller me chercher ce sandwich aussi ! Je me précipite alors  avant mon "autre moi" jusqu'à la loge improvisée où mon assistant est enfermé. Pas besoin de chercher pendant des heures ce coup-ci, je sais parfaitement où il se trouve maintenant. Comme un véritable fantôme, je traverse la porte et me retrouve dans cette fameuse loge, espionnant Kévin au téléphone. Putain c'est trop cool ! Je m'amuse à sortir la tête d'un côté, puis de l'autre. J'adore !

- Je suis désolé papa. Moi aussi j'aurais aimé être là, mais c'est mon travail.

Je m'approche de Kévin, beaucoup trop proche. Je n'ai pas le choix, je suis obligée de me coller à lui pour entendre ce que son père lui dit.

- Ecoute-moi bien mon garçon, tu vas laisser cette garce se débrouiller toute seule et rentrer à la maison. Tu sais très bien que ta mère va mal !

C'est de moi qu'il parle ce vieux croûton ?

- Tu sais très bien que c'est compliqué. J'ai besoin de cet argent.

- Et ta mère a aussi besoin de toi.

Ses yeux brillent et j'ai l'impression qu'il retient des larmes. J'observe alors plus attentivement ses yeux bleus et remarque des petits éclats dorés mélangés dans ses iris. Il a vraiment des yeux magnifiques et j'arrive à ressentir sa tristesse au plus profond de moi, comme si sa tristesse était aussi la mienne.

- Je sais que tu es amoureux de cette peste, mais je sais aussi que ça fait plus de dix ans que tu lui cours après, et dix ans qu'elle ne te regarde pas. Donc rentre s'il te plait. Rentre pour ta famille. On a besoin de toi. Ta mère a besoin de toi.

- Je sais...

Et me voilà qui débarque dans la  loge, enfin moi, le moi réel qui lui sors tout un tas de méchancetés. Je n'avais aucune idée de ce qu'il pouvait ressentir, et je reste tout de même pleine de questions. Il a dit qu'il m'aimait, mais aussi qu'il me courait après depuis des années. Pourtant je ne l'ai embauché que depuis un an, et seulement parce que je connaissais sa tête de geek. Et aussi car c'est le seul à te supporter !

Je ferme les yeux un instant et quand je les rouvre, je m'aperçois que j'ai encore changé de "moment" et vois Kévin à l'accueil de l'hôtel réclamer un taxi. Mais malheureusement pour lui, il n'y a pas un seul taxi de disponible. Toujours curieuse, je le suis alors dans la neige. Heureusement, je ne ressens rien, ni le froid glacial, ni les flocons de neige qui tombent. En nuisette et pieds nus, bonjour l'attaque de virus mortel. Je cours jusqu'à lui et le suis jusqu'à la gare.

- Bonsoir, je voudrais un billet pour Paris.

-  Désolée Monsieur, il n'y a plus aucun train pour ce soir. Il ne me reste que deux places pour demain... C'est noël...

- Oh... je comprends, merci, dit-il dépité.

Je le vois s'installer et prendre son sac pour s'en servir comme un oreiller. Je l'observe alors qu'il est seul, en train de s'allonger sur un des bancs de la gare et mon cœur se serre. Mon cœur ? Il n'est pas mort lui ?!!! Ça me fait un mal de chien de ressentir cette sensation. Un pincement à la limite de la crise cardiaque. Pouquoi suis-je triste pour le gnome ? Je n'en ai rien à foutre après tout. Je fais demi-tour, bien décidée à retrouver mon Ken. Mais où est-il ce con ?!! Parti s'enfiler la reine des neiges ou quoi ? J'avance déterminée quand j'entends Kévin dans mon dos.

-  Allo ? Papa ? Tout va bien  ?... Mais je ne pourrai pas être là avant demain soir, il n'y a plus aucun train !

Je me dirige vers lui pour écouter sa conversation et comprendre la raison de son désarroi.

Il a l'air complètement abattu, on dirait que le monde vient de lui  tomber sur la tête. Je me précipite vers lui avant que la communication soit coupée, mais je suis retenue par une main, celle de Ken. Ca y est il a fini sa partie de jambe en l'air ? L'épais brouillard envahi de nouveau ma vision et je me retrouve une nouvelle fois dans ma chambre d'hôtel.

- Mais pourquoi m'avez-vous retenue ? dis-je me débattant pour quitter l'emprise du faux Ken.

- Tu en avais assez vu Shirley.

- Mais...

- Il n'y a pas de mais. J'espère que tu as compris ce que j'ai essayé de faire...

Silent NightOù les histoires vivent. Découvrez maintenant