Chapitre 46

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46 - Premier pas


Tom essuya la buée sur le miroir d'un geste souple et prit quelques secondes pour s'observer. Pour la première fois depuis des mois, il s'était réveillé serein et il appréciait le calme et le silence, dans la pièce comme dans sa tête. Habituellement Eliane était levée avant lui, si bien que dès le réveil, le lien l'assaillait de tout le stress qu'elle ressentait concernant la journée à venir. Il s'était souvent demandé ce qui inquiétait autant la jeune femme, c'était comme si elle s'attendait à ce qu'on lui annonce la mort de quelqu'un, tous les matins. Il haussa les épaules, ce n'était pas le cas ce jour, alors autant en profiter ! Il était seul dans la salle de bain, comme toujours, il disposait des lieux rien que pour lui. La règle s'était vite instaurée quand il avait fait comprendre à ses camarades qu'il n'aimait pas être observé en entrant ou en sortant de la douche. Depuis il profitait de la douche pour se détendre, sachant qu'il lui faudrait être irréprochable toute la journée, cela faisait partie des rares temps où l'on pouvait admirer Tom Jedusor sans son masque.
Il avait toujours du mal à se reconnaître dans ses moments là. Un duvet sombre inégal sur ses joues, ses cheveux ébouriffés par la serviette, sa peau humide un peu brillante. Il se regardait et trouvait cela étrange de ne voir qu'un adolescent dans le miroir, quand il savait être bien plus. Il n'avait rien de commun avec les autres élèves, il les surpassait et cette image dans le miroir n'était qu'un mensonge.

Il rasait alors soigneusement ses joues en prenant garde à ne pas se couper, lissait ses cheveux pour qu'aucun n'ait l'audace de pointer en épi et enfilait son uniforme, boutonnant consciencieusement sa chemise et sa robe. Il y épinglait son insigne de préfet après l'avoir lustrée et enfin, il recomposait son masque. Ce jour n'échappa à la règle, ses yeux plantés dans son reflet, il regarda ses traits se durcir un à un, son regard perdre toute lumière pour n'être plus que ces deux perles d'obsidienne insondables et de l'adolescent, il ne resta plus grand-chose.

Ces derniers mois, il avait également pris l'habitude de mettre à profit ces instants de solitude pour sonder attentivement les émotions d'Eliane. Certains matins elle se réveillait en proie à une tristesse incommensurable, d'autres c'étaient plutôt la peur ou le doute... C'étaient des informations précieuses qui lui permettaient de savoir comment réagir tout au long de la journée, que ce soit pour la troubler ou la rassurer. Il ferma les yeux, aujourd'hui elle semblait heureuse, sereine et résolue. C'était apaisant, et par moments il sentait pulser son amour en vagues puissantes. Tom se sentait électrisé à chaque fois, il semblait que, de la veille, Eliane avait décidé de ne garder que la meilleure part, et il appréciait cette attention.

Il la rejoignit dans la grande salle, elle était radieuse malgré le manque de sommeil, les cernes sous ses yeux étaient masquées par le pétillement intense de son regard et son sourire discret. Naturellement il s'assit près d'elle, sauf qu'au lieu du signe de tête habituel, elle l'accueillit d'un sourire plus prononcé et d'une pression de la cuisse discret mais intime. Il s'en sentit soulagé. Il avait beau savoir qu'elle ne ferait jamais une chose pareille, il avait craint qu'après leur baiser de la veille, elle ne se colle à lui dans la grande salle pour revendiquer le fait qu'ils sortaient ensemble.

Enfin... s'ils sortaient ensemble. Ils n'avaient pas vraiment pris le temps de mettre en mots leur relation, ils s'étaient simplement embrassés jusqu'à ce que l'horloge sonne quatre heures du matin. Cela les avait brusquement ramenés à la réalité et ils s'étaient séparés sur un « bonne nuit » sobre, satisfait pour l'un, rêveur pour l'autre.

Tom n'avait jamais été avec une fille avant, il n'avait guère eu le temps de s'occuper de cela. Il en avait bien embrassé une ou deux pour obtenir une faveur mais c'était tout. Il n'avait vraiment pas besoin de s'encombrer la tête avec ce genre relation... Mais avec Eliane c'était différent. Il avait besoin de son amour pour être puissant, or l'embrasser semblait marcher plutôt bien pour éveiller ses sentiments. Mais pour l'embrasser, il lui fallait être proche d'elle, sortir avec elle. Heureusement, là où les autres représentaient un supplice, Eliane paraissait presque être une opportunité agréable. Elle était vive, intelligente, puissante et maligne. A eux deux ils formaient l'équipe parfaite, un couple royal. Ils pourraient avoir le monde à leurs pieds s'ils le voulaient, d'un simple claquement de doigts...

Un voyage dont on ne revient pasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant