Chapitre 12. Confiance

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Les jours suivants, il fit presque aussi froid à Édimbourg que dans le regard d'Ewann. J'arrivais toujours vers treize heures, comme d'habitude, mais j'avais constamment un prétexte au bord des lèvres pour partir plus tôt que prévu, parfois deux heures après mon arrivée. Ruby ne m'adressait pas la parole, les clients ne me voyaient même pas, je réussis presque à devenir invisible. Il fallait avouer que la sensation était assez désagréable. Seul Cody continua de me cotoyer un tant soit peu, et même si sa désapprobation était lourde et palpable, il se montrait amène en toutes circonstances.

Vendredi, je me rendis au magasin presque à reculon. Ce lieu si vivant ne m'inspirait plus désormais qu'une répulsion teintée d'amertume. Mes lèvres palpitaient dès que je franchissais le seuil, en souvenir du baiser que j'y avais échangé avec mon formateur, l'indifférence de Ruby me percutait de plein fouet, davantage qu'un coup de poing, et les yeux gris d'Ewann dégageaient un tel mélange d'incompréhension et de colère que je n'osais plus lever le visage.

Encore cette fois, je gardai le regard baissé sur mes chaussures en entrant et me maudis d'avoir programmé un cours de piano cet après-midi là. Cependant, je ne pouvais retarder l'échéance, et j'étais retournée au travail seulement pour réaliser le fichu souhait d'Honoré. Il ne me facilitait pas la tâche. Il n'était pas au courant de mes projets, cela ne m'empêchait pas de lui tenir rigueur des vœux tacites qu'il formulait tout bas.

Je culpabilisai d'être si méfiante, si glacée, si dure, et je savais que je réagissais de manière exagérée. Toutefois, dix ans d'abstinance ne se brisaient pas sans conséquences.

Je repensais à Gloria, qui, depuis notre dispute de mardi, tâchait vainement de se faire pardonner par tous les moyens possibles et imaginables. En dépit de ses efforts désespérés, je continuais à lui en vouloir de sa violence verbale, et même mon frère était distant, rancunier de la façon dont elle avait révélé ses aspirations secrètes à mon propos. Je commençais à croire que j'apportai la discorde partout où j'allai, bien malgré moi.

Ewann était en grande conversation avec  une jolie jeune femme qui avait un problème avec son violoncelle. Elle était mince comme une brindille et avait de courts cheveux auburn très frisés, de petites lunettes qui arondissaient ses traits poupins et des yeux vert pâle qu'habitait une grande douceur. Elle pépiait plus qu'elle ne conversait. On aurait dit un moineau, frêle, timide, mignon.

Ewann lui expliquait quelque chose avec un sérieux qui frôlait la solanité, toutefois je ne m'y trompai pas. Il la dévorait littéralement du regard et lui adressait de temps à autres des sourires en coin absolument irrésistibles qui paraissaient lui faire de l'effet.

- C'est peut-être au niveau de la quatrième corde? Bon, Emily, tu me l'amènes lundi ou dans la journée, si tu veux. Je ne crois pas que la caisse de résonance soit en cause, mais bon...

Je le laissai à sa discussion avec Emily dans un tiraillement de jalousie. Était-il contraint de lui sourire si gentiment? En tout cas, elle portait très bien son nom. À y réfléchir, elle était même parfaite pour lui. Je les détestai tous les deux, pour de bon. Et j'espérai bien qu'Emily allait s'assomer avec l'archet de son violoncelle.

Rejoignant l'arrière boutique en traînant les pieds, je refoulai mes émotions. Combien de temps comptait-il me faire attendre avant de me retrouver? Je n'avais pas que ça à faire, moi...

«Menteuse!» Hurla ma conscience.

Je n'avais pas eu de confrontations avec Ewann depuis notre échange au téléphone et il avait respecté les règles du contrat que nous avions passé, non sans une certaine répugnance. Il ne m'avait pas adressé plus de dix mots en une semaine et m'avait donné l'horaire de ma leçon la veille avec une dureté inhabituelle qui m'avait blessé. Pourtant, je me devais de reconnaître qu'il avait tous les droits de se rapprocher d'Emily si moi je le rejetai. Et la jeune femme n'avait pas l'air contre, d'ailleurs...

La partition d'un avenirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant