CHAPITRE XVII - VÉRITÉS

9 2 0
                                    

Base de l'ISM, planète Lumen – centre de commandement, bureau du Marine General Carsen, mercredi 23 mai 2356.

Lock demeura un long moment silencieux, à regarder le Marine Général, sans savoir quoi dire, quoi faire. Il s'était préparé à une réaction brutale, mais ceci... c'était tout simplement incompréhensible. La tension crispait chaque muscle de son corps. Il ne pouvait qu'attendre. Attendre que l'homme en face s'explique, revienne sur des paroles qui avaient – il ne pouvait en être autrement - dépassé sa pensée.

Mais Carsen n'en montrait aucune intention :

« Vous m'avez bien entendu, capitaine Lockhart. Vous allez quitter immédiatement cette planète. Tous les trois. »

Le capitaine secoua la tête, tentant de dissiper l'incrédulité puis la consternation qui menaçaient de le submerger ; il s'éclaircit la voix avant de déclarer d'un ton calme, délibéré et d'une courtoisie qui le surprit lui-même :

« Mon Général, vous êtes bien conscient du fait que dans le cas d'une affaire prioritaire, l'ISO dispose des pleins pouvoirs pour intervenir au sein de l'ISM ?

— J'en suis parfaitement conscient, répondit le Marine General d'un ton polaire, mais tout aussi calme.

— Vous savez également que votre réaction peut-être assimilée à un refus d'obtempérer ?

— Je le sais parfaitement, Capitaine. »

L'officier de l'ISO fixa son interlocuteur, incapable de comprendre cette étrange détermination qui pouvait pousser un homme puissant, brillant et respecté – en dépit de ses fautes et de ses manquements personnels – à risquer ainsi sa position. Même s'il avait pu lui laisser supposer le contraire par son attitude et ses paroles, il ne croyait pas une seconde que Carsen pouvait être volontairement impliqué dans cette affaire. La probité, l'intégrité de Cid n'étaient pas seulement des traits de caractère propres à la jeune femme : il semblait évident que toute son éducation avait exalté ces valeurs autant par l'exemple que par le discours. Pourtant, la réaction du Marine General n'était pas exactement celle d'un innocent.

Il n'était pas difficile de comprendre que l'homme brillait surtout par son orgueil... mais Lock devait reconnaître, un peu malgré lui, qu'il était assez mal placé pour le juger sur ce critère. Sa volonté, parfaitement assumée, de faire payer au Marine General la manière dont il traitait ses agents avait sans doute joué un rôle majeur dans ce désastre annoncé.

Mais, étrangement, il n'avait aucune envie de voir Carsen se saborder. Les rapports entre Cid et son père, en dépit du différend qui les éloignait, retenaient une intense part émotionnelle : tout ce qui pouvait discréditer le Marine General ne pourrait manquer d'atteindre son lieutenant. Lock réalisait aussi, même s'il était douloureux pour lui de l'admettre, qu'il n'était pas exactement la personne la plus appropriée pour conseiller Carsen sur la meilleure façon de gérer une relation père-fille.

Secouant légèrement la tête, il leva une main pour la passer sur sa nuque et en profita pour jeter un bref coup d'oeil vers les membres de son équipe. Il ne fut pas surpris de voir Berry trembler de colère contenue ; la jeune femme ne gardait le silence qu'à grand-peine. Quant à Rag... Le genhum n'affichait pas ses états d'âme aussi librement que la comptech : des années de conditionnement et d'entraînement militaire y avaient veillé. Ce qui ne signifiait pas qu'il ne ressentait rien : Lock connaissait assez bien son sergent pour noter la tension qui avait envahi son corps et sa subtile expression de fatalisme lucide, de tristesse résignée.

Le capitaine sentit son estomac se nouer, sous l'effet conjugué de la honte et de la culpabilité. Il aurait dû écouter le jeune homme, se fier à ses instincts et son bon sens comme il le faisait habituellement. Il n'aurait certainement pas dû se servir de lui pour défier les tendances sectaires de Carsen.

PARADIS XXIVOù les histoires vivent. Découvrez maintenant