Maeva Robin offrait toujours son plus beau sourire à ses clients.
C'était une chose qu'elle rapidement avait comprise : quand on travaille en relation directe avec des êtres humains, le plus important est de toujours se montrer aussi agréable et souriant qu'on aimerait que la personne le soit en retour. En l'occurrence, le succès de son magasin d'antiquités dépendant entièrement de ses clients, elle était absolument exquise avec chacun d'entre eux, même ceux qui n'hésitaient pas à pratiquer un marchandage éhonté du prix d'un objet en dessous de sa valeur. Ils faisaient partie du lot quotidien, mais ne constituaient aucunement une norme.
La prospérité du magasin avait très vite été assurée, si bien que Maeva avait pu agrandir la boutique et engager du personnel : Marianne, sa meilleure amie qui avait alors désespérément besoin de changer de travail et gérait principalement l'administration, et Harold, un jeune nordiste passionné d'antiquités qui possédait une culture incroyable sur le sujet. Avec une équipe comme ça, Maeva avait tout de suite su qu'elle serait toujours bien entourée professionnellement. Mais ce jour-là, elle s'apprêtait à découvrir qu'ils étaient prêts à élargir leurs prérogatives au plan personnel.
Lorsque la sonnerie du vieux téléphone à cadran retentit dans la boutique pleine à craquer – un samedi, vous pensez bien ! –, Maeva était afférée à renseigner plusieurs clients à la fois. De loin, elle avisa Marianne qui décrochait et se reconcentra sur le précieux vase datant du xviie siècle orné de minutieuses peintures qui le rendaient unique. Elle aperçut alors, du coin de l'œil, quelqu'un qui arrivait et s'arrêta net en voyant Marianne s'approcher, le visage baigné de larmes. Maeva ne bougea pas, se contenta de fixer son amie et collègue d'un air grave.
« Marianne ? Marianne, qu'est-ce qui se passe ? »
Le visage de Marianne pivota de gauche à droite et de nouvelles larmes vinrent remplacer les autres, tandis qu'elle se mordait la lèvre, incapable de parler. Elle ouvrit la bouche dans un vain espoir de réussir à briser son propre silence, mais la referma aussitôt. Ce ne fut que lorsque Maeva réitéra sa question que Marianne parla, lâchant un mot, un seul.
« Timothée. »
Elle ne dit rien de plus, sa gorge se serra de nouveau. Elle avait l'impression d'en avoir déjà trop dit. Les clients assistèrent à la scène comme des intrus. Le vase vint rencontrer le sol et de leur union jaillirent mille morceaux. Maeva restait là sans bouger, sans aucune réaction, complètement éteinte. Harold accourut en entendant le vacarme, mais malgré ses multiples tentatives pour comprendre la situation, personne ne parlait.
Marianne s'approcha de son amie, pour la réconforter, pour la protéger pendant qu'elle serait vulnérable à se laisser aller à sa peine, à son chagrin. Mais au lieu de cela, Maeva fut submergée par la colère, et fit voler tout ce qui se trouvait à sa portée. Peu importait la valeur de ces objets, peu importaient les clients qui assistaient à toute la scène, peu importaient les larmes et les cris. Seule l'incompréhension parvenait à égaler sa rage et à la nourrir.
Il avait fallu un mot de Marianne pour qu'elle comprenne. On dit toujours que les mères sentent ce genre de chose, qu'elles ressentent physiquement la perte d'un proche, peu importe où elles se trouvent. Pourtant, Maeva n'avait pas senti que son fils quittait ce monde. Elle l'avait seulement deviné dans le regard de son amie, dans la manière dont elle avait prononcé le nom de son fils. Timothée. Mort.
On n'oublie jamaisl'instant où l'on apprend la mort d'un être cher.
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Pour un fils
Short StoryMaeva est désemparée. Son fils, âgé de seize ans, vient de mettre fin à ses jours. A la tristesse et la colère succède l'incompréhension. Pourquoi Timothée a-t-il commis un tel acte ? En désespoir de cause, et pour pouvoir faire son deuil, Maeva fai...