9 mai
Tout le monde dort à poings fermés, sauf moi. Je n'arrive plus à savoir depuis combien de temps j'ai ces problèmes de sommeil. Depuis que tu es mort ? Depuis notre rupture ? Avant ? J'en perds mes repères, et je reste assis à ma fenêtre, comme un con, à écrire ce putain de journal alors qu'il est déjà presque trois heures.
Le beau temps est revenu, le printemps est définitivement installé, et je regarde les étoiles en me disant que l'une d'elles, c'est toi, et que tu veilles sur moi. J'avoue que c'est complètement con, comme idée, car après la manière dont les choses se sont terminées entre nous, je ne t'imagine pas veiller sur moi. Surtout que tu as décidé de quitter ce monde à cause de moi. Je m'en veux de ne pas avoir supporté la pression, et je t'en veux de me l'avoir mise. Non, je t'en voulais. Aujourd'hui, je prends conscience que le temps nous est compté, pour nous tous, et que si j'avais su saisir ma chance, quand elle s'est présentée à moi tu serais toujours là, à mes côtés. Si j'avais compris l'importance du timing, j'aurais pu me montrer plus docile et réaliser que si tu me mettais la pression, c'était parce que tu tenais à moi et que tu avais peur de me perdre. Au lieu de ça, j'ai fui la queue entre les jambes, comme le lâche que je suis et resterai à jamais. Pourquoi faut-il commettre de graves erreurs pour pouvoir apprendre des leçons ? Pourquoi est-ce qu'on ne peut pas tout simplement en prendre conscience lorsqu'il n'est pas encore trop tard, et en profiter pour rectifier le tir ? Au moins, cette leçon, je peux t'assurer que je ne suis pas près de l'oublier.
Ma famille part en couille et tout le monde fait l'autruche. Ma mère est de plus en plus distante. Elle ne remarque même pas que je vais mal. Que tout va mal. Des fois, je me demande si ta mère s'en veut de ne pas avoir décelé les troubles qui ont précédé ta mort. J'espère sincèrement que non. Je sais à quel point tu t'en voudrais si c'était le cas...
Papa m'a montré la note par laquelle il a remplacé la tienne, et je l'ai aidé à en rédiger une partie, pour ajouter de la crédibilité. J'ai conscience que c'est mal, mais je sais que tu pensais tout ce qu'on a écrit. Je ne crois pas qu'elle aurait vraiment pu faire son deuil avec les mots d'origine – même si ce n'est pas à moi d'en juger –, alors que là, tout ce que tu avais toujours eu du mal à lui dire, elle le sait. Je sais qu'à ta place, c'est ce que j'aurais fait : dire à mes proches tout ce que ne n'aurais jamais eu le courage de leur dire de mon vivant. Je dirais à mon père que je l'aime, et que je suis reconnaissant pour tout ce qu'il a fait pour moi, malgré l'ingratitude que je me plaisais à afficher. Je dirais à ma mère que, même si elle a toujours géré sa famille comme on gère une entreprise, elle a participé à faire de moi l'homme que j'étais, et que pour ça je l'aimerais toujours. Je dirais à Oran de ne pas s'en faire, que j'ai toute confiance en lui pour devenir quelqu'un de bien dont je serais fier, et qu'où que je sois, je veillerais toujours sur lui.
Enfin, je t'aurais dit que je t'aimais, et que j'étais désolé d'avoir eu peur. Je t'aurais souhaité tout le bonheur que tu m'as procuré, et bien plus encore.
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Pour un fils
Kısa HikayeMaeva est désemparée. Son fils, âgé de seize ans, vient de mettre fin à ses jours. A la tristesse et la colère succède l'incompréhension. Pourquoi Timothée a-t-il commis un tel acte ? En désespoir de cause, et pour pouvoir faire son deuil, Maeva fai...