Ode à Elle

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Dire que Maeva s'était levée aux aurores aurait été faux : elle n'avait pas fermé l'œil de la nuit, remuant sans cesse dans le lit pour trouver une position propice au sommeil. En vain. Patrick ronflait légèrement à côté d'elle et cela l'agaça prodigieusement. Elle songea avec une pointe d'amusement à l'ironie de la vie et de l'amour, à ces petites choses qu'elle trouvait autrefois adorables chez son mari, mais qui aujourd'hui l'horripilaient prodigieusement. Lorsque son réveil indiqua quatre heures du matin, elle n'y tint plus et renonça définitivement à trouver le sommeil.

Bien que la cuisine fût étonnamment propre, Maeva décida qu'elle avait de nouveau besoin d'être récurée, et se lança dans un ménage pharaonique. Elle réveilla la vaisselle qui dormait dans les placards et entreprit de tout laver, ce qui lui prit un temps considérable. Elle nettoya ensuite les plaques de cuisson, le frigo, le plan de travail et la table, passa un coup de balai et de serpillère sur le sol, réorganisa les placards et tria les épices. Lorsque Patrick se leva à sept heures, Maeva finissait de nettoyer les vitres. Il ne posa aucune question et elle lui en sut gré. Elle ne voulait pas qu'il sache ce qui la mettait dans cet état. Elle ne voulait pas qu'il sache qu'une note de leur fils l'attendait chez les Devaux.

Maeva attendit que son mari parte au travail – il ne lui déposait plus de baiser sur la joue, se contenant de prendre sa serviette et de claquer la porte derrière lui – pour prendre ses clés de voiture et fermer derrière elle.

La route fut courte, mais lui parut durer des heures. Lorsque l'auto s'immobilisa devant la maison de pierres, elle resta de longues minutes derrière son volant, hésitant à quitter la douceur de l'habitacle. C'était bête d'hésiter à rentrer chez Armand après avoir tourné en rond toute la nuit dans l'attente de ce moment. Et pourtant, voilà que la peur la saisissait, l'étreignait. Une fois qu'elle saurait, elle serait obligée de passer à autre chose. Or, la simple idée d'aller de l'avant, de continuer dans un monde où son fils n'était plus, la glaçait d'effroi. Comment imaginer une seconde ne pas trahir la mémoire de son fils en reprenant le cours de sa vie ?

Finalement, elle se décida à sortir et, les jambes flageolantes, rejoignit l'entrée de la maison. Elle frappa doucement. Il était tôt, mais la maisonnée semblait déjà agitée et se préparait pour une nouvelle journée.

Ce fut Karine qui ouvrit, Oran dans les bras.

« Bonjour, lança-t-elle, visiblement pressée. Je peux vous aider ?

— Oui, bonjour. Je m'appelle Maeva Robin, j'ai rendez-vous avec Armand. »

Karine ne dit rien, mais se décala avec un sourire poli pour l'inviter à entrer. Armand arriva et accueillit Maeva en l'enjoignant à le suivre dans le salon. Les formalités furent courtes et, après que la femme eut refusé de boire ou grignoter quoi que ce soit, l'informaticien lui présenta l'ordinateur.

« J'ai pris la liberté de supprimer le mot de passe pour que vous puissiez accéder au contenu de l'ordinateur.

— Merci, c'est très gentil de votre part. »

Elle lui serra la main affectueusement malgré le faible sourire qu'ils arboraient tous deux.

« Est-ce que ça vous dérange si je le consulte ici ?

— Non, pas du tout, faites donc. Prenez le temps qu'il vous faudra, je serai dans la pièce d'à côté si vous avez besoin de quoi que ce soit. »

Armand s'éloigna vers son bureau pendant que Maeva ouvrait l'ordinateur. Il n'avait pas menti, la veille, au téléphone : une note au titre évocateur se trouvait au centre de l'écran. La main au-dessus de la souris, le doigt tremblant, elle hésita longtemps avant de réussir à cliquer dessus. La note s'ouvrit, et elle lut. Plusieurs fois. Elle pleura aussi. Beaucoup. Les derniers mots de son fils, sommaires, sobres, s'étalaient devant ses yeux. Il n'expliquait pas son geste, il ne parlait pas de ce qui l'avait conduit au bout d'une corde. Non, au lieu de cela, Maeva ne trouva que des excuses à son égard.

Avant de mourir,Timothée avant seulement tenu à s'excuser et à la remercier. Il avait tenu àlui dire qu'il l'aimait plus que tout, elle qui lui avait donné la vie qu'ilavait décidé de reprendre. Ses dernières pensées avaient été pour elle.    

Pour un filsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant