Le visage de la haine

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Maeva avait pris le volant à peine Yann parti. Elle avait proposé de le raccompagner, mais il avait refusé et était reparti en vélo sans plus de détail, prétextant que ce n'était pas son rôle d'expliquer la situation. Il avait seulement donné l'impulsion. Le reste, c'était à Maeva de le découvrir par elle-même, ou plutôt d'aller de le chercher à la source.

L'aiguille flirtait avec le quatre-vingt-dix alors que le panneau rappelait que la vitesse maximale était de cinquante kilomètres heures. En quelques minutes seulement, sa voiture déboulait dans l'allée des Devaux et, contrairement à la dernière fois qu'elle s'y était rendue, elle n'hésita pas une seconde avant de sortir. Elle se jeta sur la sonnette et tambourina même à la porte, qui s'ouvrit rapidement sur un Armand interloqué.

« Maeva, qu'est-ce que vous–. »

Mais il n'eut pas le temps de terminer sa phrase que la femme entrait en trombe dans la maison, hurlant :

« Ulrich ! Ulrich Devaux ! Descends, Ulrich, il faut qu'on discute ! »

Armand la vit qui se dirigeait vers les escaliers et s'interposa.

« Maeva, calmez-vous ! Vous n'êtes pas dans votre état normal !

— Laissez-moi passer, je veux voir votre fils.

— Laissez mon fils en dehors de ça et allons discuter calmement dans le salon. »

Mais Ulrich apparut en haut des marches et descendit lentement.

« T'inquiète, Papa. Ça va. »

Maeva pleurait et Armand voyait que son fils n'en était pas loin. C'était son rôle de rester là, entre les deux. C'était ce qu'il avait cherché à faire depuis le début – empêcher que cet affrontement ait lieu.

« Ça va aller, continua Ulrich. Je peux faire face à la situation. »

Puisque Maeva semblait se calmer face à la coopération de l'adolescent, Armand se décala à contrecœur et laissa passer son fils pour qu'il rejoigne le hall. Mais alors que l'apaisement commençait à revenir, Maeva tira une arme de son sac qu'elle pointa sur Ulrich, puis sur Armand qui commençait déjà à se poster devant son fils.

« Je veux tout savoir, Ulrich. On m'a dit que tu avais ta part de responsabilité dans la mort de Timothée, et je veux savoir laquelle. »

Si Ulrich était déstabilisé par l'arme pointée sur lui, il n'en laissa rien paraître.

« Maeva, reprit Armand, s'il vous plaît, il n'est pas nécessaire d'avoir une arme. Nous n'avons aucune intention de nous enfuir.

— Taisez-vous ! hurla Maeva. Si vous croyez que je vous fais confiance, vous vous trompez lourdement. Vous vous êtes bien foutu de ma gueule, pas vrai ? C'est mon tour de jouer et cette fois, je garde toutes les cartes en main. »

Ses hurlements réveillèrent Oran, dont les pleurs gagnèrent rapidement le hall. Les cris provenant de l'étage paralysèrent Maeva, qui ne s'y attendait pas le moins de monde. Ses yeux embués laissaient entrevoir de la confusion au milieu de sa rage.

« Vas-y, papa. Va voir Oran, il a plus besoin de toi que moi. C'est entre Mme Robin et moi. »

Armand n'avait aucune intention de laisser son fils seul avec une femme bouleversée et armée, mais le regard de son fils balaya ses doutes. Ils avaient évoqué ensemble la possibilité de ce moment, ils s'y étaient préparés, et la détermination d'Ulrich à l'affronter n'avait aucune limite. Le père de famille monta donc l'escalier, adressant une dernière demande à la mère endeuillée.

« S'il vous plaît, ne faites rien d'inconsidéré. Je reviens tout de suite. »

Il grimpa les marches sans cesser de regarder derrière lui et, lorsqu'il disparut, Maeva pointa de nouveau l'arme sur Ulrich.

« Dis-moi ce qui s'est passé. »

Sa voix était presque suppliante et le garçon sentit qu'elle tenait l'arme pour se donnait une contenance plus que par réelle envie.

« Vous n'en avez aucune idée, n'est-ce pas ?

— Tu crois que je serais là si je le savais ? s'impatienta-t-elle. Qu'as-tu fait à mon fils ? Réponds !

— Je l'ai aimé ! Ce n'est pas mon seul tort, mais s'il faut commencer quelque part, c'est bien par là. On s'est aimé, Madame, plus que vous ne pouvez l'imaginer.

— Q-q-quoi ? »

Sa main tremblait, sa volonté vacillait.

« Je suppose que c'est Yann qui vous a prévenue, n'est-ce pas ? Évidemment, qui d'autre ? ajouta-t-il pour lui-même. Mais il ne savait rien ! Oui, j'ai ma part de responsabilité dans la mort de Timothée. Je me suis éloigné parce que j'avais peur de lui – non, c'est pas vrai, j'avais peur de nous, en fait. Et j'ai pas su voir qu'il allait mal. S'il vous faut un fautif, ne cherchez pas plus loin, il est devant vous. »

Maeva secoua la tête, ne croyant pas ce qu'il racontait. Ce n'était pas le genre de choses que Timothée aurait pu lui cacher. Il savait qu'elle l'aimait plus que tout, et qu'il pouvait se confier à elle. Jamais il n'aurait gardé un si lourd secret.

Armand réapparut en haut des escaliers et descendit lentement, les mains en l'air, un carnet dans l'une d'elles.

« Moi non plus je n'y croyais pas, Maeva. Mais j'ai trouvé la note de Timothée sur son ordinateur – la vraie –, et j'ai trouvé le journal de mon fils. Si vous ne nous croyez pas, vous croirez peut-être les mots d'un adolescent qui vient de perdre la personne qu'il aimait. »

L'arme s'abaissa légèrement et Maeva fit un pas vers l'escalier pour attraper le carnet. Ulrich s'interposa pour protester contre l'intrusion dans son intimité, mais le pistolet redevint ferme dans la main de la femme. Le journal en sa possession, elle l'ouvrit tant bien que mal et le parcourut en diagonale. Ces souvenirs, ces détails... il y avait des détails sur Timothée qui ne pouvaient pas la tromper. Se pouvait-il que tout soit vrai ?

Le carnet tomba au sol et l'arme aussi. Désemparée, Maeva se contenta de murmurer.

« Je n'ai rien vu... absolument rien... j'étais tellement concentré sur moi-même que je n'ai rien vu...

— Ce n'est pas votre faute, Maeva, intervint Armand. Moi non plus, je n'ai rien vu. Je pensais sincèrement vous aider en vous cachant la vérité. Je ne voulais pas prendre le risque de ternir l'image que vous garderez de Timothée. Je suis sincèrement navré que vous ayez dû l'apprendre de la sorte... »

Mais Maeva n'écoutait qu'à moitié. Elle se baissa pour récupérer le pistolet et s'en alla sans un mot.

Derrière son volant, leslarmes reprirent de plus belle.    

Pour un filsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant