Fragrance

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Maeva se redressa contre la tête de lit. L'éclat blanc de la lune traversait les rideaux pour donner une clarté irréelle à la chambre. Elle regarda son mari qui dormait paisiblement. Elle avait lu un jour un article qui énonçait le pourcentage de couples qui se séparaient après la perte d'un enfant. Même si le chiffre lui échappait aujourd'hui, elle avait l'intime conviction qu'ils viendraient bientôt grossir ces statistiques.

Patrick avait été là, à sa manière. Il s'était occupé des funérailles, avait réglé les détails administratifs, avait prévenu la famille et le lycée. Tout ce qu'il avait fallu gérer, il l'avait fait. Il avait été là, mais pas pour elle. Peut-être savait-il trop bien qu'elle ne serait pas réceptive à cette main tendue ? Leur couple battait déjà de l'aile depuis quelque temps, il était peu probable qu'il survive à une telle tragédie.

À pas de loup, elle quitta son lit, longeant les escaliers jusqu'au bout du couloir, entra dans la chambre de son fils. S'il savait qu'elle passait autant de temps dans cette pièce, Timothée ragerait probablement. C'était son antre à lui, là où il avait construit son petit monde en même temps que sa personnalité. Il y avait fait ses premières nuits, ses premiers pas, il y avait joué des milliers de fois et y avait invité nombre d'amis. Était-ce là aussi qu'il avait fomenté de bien sombres desseins ?

Le regard de Maeva parcourut la pièce, des posters aux livres, des CD aux figurines, des trophées aux DVD, cherchant un indice sur ce qui avait pu conduire son fils à chercher le salut au bout d'une corde. Pourtant, elle ne trouva rien qui pouvait l'aiguiller. Seulement des témoignages inanimés d'une vie partie en fumée.

Ses pas la menèrent vers la penderie. Elle l'ouvrit en silence et attrapa un vieux gilet qui ne payait pas de mine. Timothée l'avait porté tellement de fois, contre l'avis de sa mère qui lui avait conseillé à mille reprises de s'en débarrasser au profit d'un nouveau. Son odeur était encore tellement présente, imprégnée jusque dans les fibres en laine. Il lui suffisait de fermer les yeux pour imaginer qu'il était là, avec elle. Bien sûr que c'était faux, bien sûr que le choc était toujours immense lorsqu'elle rouvrait ses paupières sur une chambre vide, mais peu importait. Si elle pouvait se laisser à croire l'espace d'une seconde qu'il était toujours en vie, cette seconde valait bien des heures de peine et de chagrin.

Maeva se laissa tomber au sol. Elle ne pleura pas, mais se laissa enivrer par l'odeur apaisante des vêtements tout autour d'elle. Combien de temps encore subsisterait-elle ? Cette question tournait en boucle dans sa tête, chaque fois qu'elle venait dans cette chambre. C'est bête, quand on y pense, de s'accrocher à une odeur. Des cinq sens, c'est bien celui qu'on utilise le moins quand on aime quelqu'un. On le regarde, on le touche, on l'écoute. Certes, on ne peut pas vraiment dire que le goût entre en ligne de compte. Mais quand cette personne part, le dernier sens qui nous ramène à elle est l'odorat.

Un bruit de pas se fit entendre dans le couloir, arrachant Maeva à ses pensées, la ramenant sur terre, seule. Patrick marcha directement vers la chambre de Timothée, devinant malgré l'obscurité la présence de sa femme. Il passa la tête dans l'encadrement de la porte et mit plusieurs secondes à retrouver Maeva dans la pénombre. Pour une fois, elle aurait aimé qu'il vienne s'asseoir à côté d'elle et qu'ils pleurent en silence leur fils disparu. Qu'il lui dise qu'il était là pour elle, et qu'il lui fasse croire que tout irait bien.

Au lieu de ça, il se contenta de lui dire d'aller se recoucher et, sans attendre de réponse, suivit immédiatement son propre conseil.

Pour un filsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant