Boudoir

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30 avril

Il paraît que, quand j'étais petit, j'adorais me faufiler dans la chambre de mes parents, m'asseoir devant le miroir du boudoir de ma mère et utiliser son maquillage pour me grimer de la tête aux pieds. À vrai dire, je n'en ai aucun souvenir, ou alors très vagues. Je devais avoir quoi ? cinq, six ans. Ça remonte. C'est mon père qui me l'a dit, un jour. Quand il me trouvait, il rigolait et m'aider à me démaquiller avant que ma mère me voie et pique une crise. Heureusement, mon père travaillait déjà à la maison, à cette époque. C'est bizarre, mais je ne crois pas qu'elle se doutait de quelque chose, malgré ses stocks qui descendaient à vu d'œil.

Ces derniers temps, mon père est de plus en plus bizarre, et ça en devient carrément relou. Je crois que c'est ton histoire qui l'a complètement chamboulé depuis qu'il l'a lue dans le journal. Il s'imagine sûrement qu'aucun parent n'est préparé à ça, et que je pourrais tout aussi bien être le prochain gamin dont les journaux parleront, et qu'alors il devrait apprendre à vivre sans son enfant, lui aussi. Je conçois que ça puisse être difficile, vu comme ça l'est déjà pour moi qui ne t'ai connu que l'espace de quelques mois.

Même si ça arrivait – si je me suicidais, je veux dire –, je me consolerais en me disant que mes parents auraient encore Oran. C'est un bon gamin, pas une cause perdue comme moi. Si je devais mourir, ou même seulement partir, je me dis que ça lui donnerait une meilleure chance de devenir un mec bien, plus tard. Y aurait plus aucun risque pour qu'il me prenne comme exemple à un moment ou à un autre et qu'il se foire et qu'il finisse comme moi. Ça me ferait bien chier que ça arrive. Je dis sûrement ça parce qu'il n'a même pas encore trois ans, mais je crois que ça suffit pour deviner la personne qu'il sera plus tard. Quand je revois des photos de moi gamin, tout ce que je vois, c'est à quel point j'étais destiné à de mauvaises choses. Ça me saute aux yeux. Alors qu'en voyant des photos de toi, je savais que tu aurais un grand avenir. Tu voulais enseigner, être un prof meilleur que tous ces losers qu'on voyait tous les jours. J'avais une confiance aveugle en toi.

Je me demande s'il arrive à Oran d'aller semaquiller devant le boudoir de maman, des fois. Je crois que je flipperais si jele surprenais en train de le faire, parce qu'alors j'aurais trop peur qu'ilcommence à suivre mes pas. Il ne se rend pas compte de tout ce qui l'attend. Ilne se rend pas compte que la vie finit par nous bouffer si on n'y prend pasgarde. Comme moi. Et il finira par se mettre à écrire un journal parce que lapersonne qu'il aimait à préférer mourir plutôt que de lui parler.     

Pour un filsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant