Après l'ondée

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Armand se trouvait dans son bureau, auquel on accédait par le salon, le chauffage monté pour pallier le froid quasi arctique qui avait recommencé à sévir depuis quelques jours. Installé à un vaste bureau, il pianotait sur un ordinateur qu'il venait tout juste de réparer. Ce n'était vraiment pas grand-chose, mais bon, les gens avaient tendance à mettre toute leur vie dans ces machines, alors forcément, dès qu'il y avait le moindre pépin, on faisait appel à lui. Ce n'était pas plus mal, « il manquerait plus que tu te plaignes » aurait dit Karine. Après tout, son business en dépendait.

Il se laissa aller contre le dossier du fauteuil quand des coups frappés à la porte attirèrent son attention. Il se leva et traîna des pieds jusqu'à l'entrée. La porte s'ouvrit sur une femme à la quarantaine légèrement marquée, de longs cheveux châtains encadrant son visage gracile qui semblait cependant avoir été dévoré par un mal profond. Ce furent sans doute les yeux qui l'indiquèrent à Armand : ces deux yeux bruns avaient perdu cette brillance et cette malice qui caractérisent ceux qui n'ont jamais connu le pire.

« Bonjour, commença-t-elle. Je suis bien chez Armand Devaux, l'informaticien ?

— Oui, c'est moi. Je vous en prie, entrez. »

Il se décala pour la laisser passer. Elle ne dit pas non à la chaleur de l'intérieur aménagé avec goût qui valait cent fois l'extérieur qui n'avait pas encore retrouvé sa parure de printemps. Un feu crépitait dans la cheminée, près des canapés sur lesquels Armand enjoignit son invitée à s'asseoir. Il lui proposa des boissons chaudes, mais celle-ci déclina l'invitation. À la place, elle préféra en venir directement au but de sa visite.

« Je ne sais pas si vous savez qui je suis, je ne sais pas si vous lisez les journaux. Je suis Maeva Robin. Mon fils Timothée...

— Oh, bien sûr. Toutes mes condoléances, déclara-t-il, profondément sincère.

— Merci, c'est très gentil de votre part. »

Elle ouvrit son large sac à main pour en sortir un petit ordinateur accompagné de son chargeur qu'elle posa sur ses genoux. Ses doigts allèrent naturellement jouer avec le cordon d'alimentation pendant qu'elle exposait l'objet de sa venue.

« Après les récents événements, je suis passée par un nombre incalculable de phases. Aujourd'hui, il y en a une qui reste et refuse de partir sans être assouvie. J'ai besoin de comprendre. »

Elle insista sur ce dernier mot, celui qui la hantait depuis plusieurs nuits et l'empêchait d'avancer, quoi que cela pût signifier. Les motivations de son fils devaient avoir été réelles et, à défaut de pouvoir changer le cours des choses, elle avait désespérément besoin de leur donner un sens.

« Vous..., dit Armand. Vous attendez quelque chose de ma part, si j'ai bien compris ?

— Oui. J'ai trouvé votre carte de visite et j'ai vu que vous étiez informaticien. Je n'y connais pas grand-chose, pour être honnête. Ma spécialité, ce sont les antiquités, pas les nouvelles technologies. C'était Timothée qui était incollable là-dessus... c'est ce qui m'a amenée à penser que, peut-être, il aurait pu laisser des traces dans son ordinateur. Quelque chose qui puisse expliquer son... geste. »

Armand devina que le mot était sorti faute de mieux, mais qu'elle avait très certainement autre chose en tête – un mot qui, même dans sa tête, était intrinsèquement douloureux. Il devait encore être trop tôt pour pouvoir sortir tout ce qu'elle avait sur le cœur. Il imaginait mal la manière dont il réagirait à sa place. Perdre un enfant, que pouvait-il bien y avoir de pire ? Comment se définir après une telle tragédie ? Cette femme, assise dans son salon, était une mère à qui on avait arraché son enfant.

« Vous savez, dit-elle, le regard dans le vague, quand un enfant perd ses parents, il devient orphelin. Mais quand un parent perd son enfant, que devient-il ? Il n'y a pas de mot pour décrire l'atrocité de la chose. »

Elle baissa la tête et essuya les larmes au fur et à mesure qu'elles apparaissaient au coin de ses yeux, mais la tâche devint de plus en plus difficile et nombre d'entre elles vinrent s'écraser sur les cuisses de la mère endeuillée. Armand se leva et attrapa une boîte de mouchoir qu'il lui tendit.

« Je promets de faire tout mon possible pour vous apporter des réponses, Madame.

— Je vous en prie, appelez-moi Maeva, dit-elle en essuyant ses larmes, avant d'ajouter : Je voulais également connaître vos prestations et savoir s'il fallait régler par avance.

— Oh non, non, non, il n'en est pas question. Vous êtes en deuil et je peux difficilement imaginer la peine que vous devez surmonter. J'ai moi-même un fils à peine plus âgé que Timothée – Ulrich, il s'appelle – et si je devais le perdre... Bref, je ne veux pas utiliser votre chagrin. Je serais heureux de pouvoir vous aider à trouver des réponses à vos questions. »

Il tendit les bras pour réceptionner l'ordinateur qu'il posa sur la table basse puis se saisit des mains de Maeva. Cette poignée, c'était tout ce qu'il pouvait faire pour l'instant. Mais il comptait bien dénicher quelque chose dans l'ordinateur de Timothée. Quelque chose, peu importe quoi. Il en faisait une priorité.

« Laissez-moi votre numéro, dit-il finalement, et je vous contacte dès que j'ai quelque chose. Je vous tiendrai informée rapidement de l'avancée des recherches.

— Merci. Merci beaucoup. »

Elle se leva et, retenant ses larmes, enlaça Armand qu'elle connaissait à peine, mais dont la générosité lui allait droit au cœur. Elle retrouvait un peu d'espoir, chose inespérée depuis que la tragédie avait frappé. Ce que cet homme faisait pour elle allait bien au-delà d'un simple service. Il s'agissait davantage d'un sauvetage en bonne et due forme.

Pour un filsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant