« Tiens, chéri, ton café.
— Merci, ma puce. »
Armand Devaux attrapa le mug fumant et le posa sur la table de la cuisine pendant qu'il dépliait le quotidien livré quelques minutes plus tôt. Sur la une, dans un cadre minuscule, était titré un événement qui avait eu lieu dans cette même petite ville où il habitait : « Un adolescent de 16 ans se pend dans son salon. » L'homme ne sut pas ce qui l'atterra le plus : le geste de ce pauvre gamin ou la trivialité avec laquelle ce journaliste semblait décidé à raconter les faits. Il se décida finalement à se rendre à la page indiquée pour y lire l'article qui n'excédait pas quelques lignes, comme si cela suffisait amplement pour relater un fait devenu presque anodin.
« Une journée comme les autres ? Pas pour tout le monde. Timothée Robin, âgé de 16 ans, a été retrouvé sans vie, gisant au bout d'une corde dans le salon familial, ce samedi matin. C'est son père, Patrick Robin, qui a découvert le corps en rentrant de sa matinée de travail. Les parents et les proches sont sous le choc, mais plus que la tristesse ou la colère, c'est sans doute l'incompréhension qui demeure pour tout le monde. Aucune information concernant les obsèques n'a pour l'instant été divulguée. »
Armand roula le journal en boule et le jeta dans la poubelle. Ulrich, son fils d'un an plus âgé que le pauvre Timothée, entra dans la cuisine à moitié réveillé et s'affala lourdement sur une chaise. Il versa du café dans un autre mug que sa mère avait préparé sur la table et ce n'est qu'après quelques gorgées qu'il remarqua le regard de son père, posé sur lui depuis son arrivée.
« Qu'est-ce que t'as ? bougonna-t-il.
— Rien. Un père n'a pas le droit de regarder son fils ?
— Si, mais pas de manière aussi flippante. »
Ulrich retourna à son café pendant que Karine, la mère, allait réveiller le petit dernier qui dormait encore. Armand ne détacha cependant pas son regard de son fils et souffla :
« Tu sais que je t'aime, hein, pas vrai ?
— Tu deviens carrément chelou, papa. »
L'adolescent se leva pour poser sa tasse dans l'évier et, sur le pas de la porte, fut intercepté par son père.
« Je sais que pour toi je suis juste un vieux schnock 'trop chelou', mais ça n'empêche que je suis là. D'accord ? Je suis ton père, et je t'aime. Et je veux que tu saches que je suis et que je serai toujours là, au besoin.
— Ouais, ouais. Bon, tu me laisses ? Faut que j'aille en cours. »
Armand se décala à contrecœur et laissa son fils lui échapper, comme chaque matin. Il savait qu'il ne s'y prenait pas de la bonne manière, mais chaque fois qu'il découvrait ce genre de fait divers dans le journal, il ne pouvait s'empêcher de penser que les êtres chers ne sont jamais acquis. On se couche un soir en les pensant à l'abri et on se réveille au petit matin dénué de leur présence. Alors, pour ne pas en arriver là, on use de petites astuces toutes bêtes : on leur fait savoir qu'on est là, quoi qu'il arrive. On se rassure en se disant que, s'ils doivent partir, on aura fait tout ce qui était en notre pouvoir avant. Et qu'ils sont partis en sachant qu'ils étaient aimés et secondés.
Karine revint dans la cuisine, le petit Oran encore tout ensommeillé dans ses bras. Armand prit le relai pendant que sa femme préparait le biberon pour le petit. L'homme cala son cadet contre son épaule et murmura :
« Tu sais que je t'aime, toi ? »
Pour toute réponse, le garçonnet sourit et se blottit un peu plus contre l'épaule de son père pour grappiller quelques minutes de sommeil supplémentaire.
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Pour un fils
Short StoryMaeva est désemparée. Son fils, âgé de seize ans, vient de mettre fin à ses jours. A la tristesse et la colère succède l'incompréhension. Pourquoi Timothée a-t-il commis un tel acte ? En désespoir de cause, et pour pouvoir faire son deuil, Maeva fai...