Chapitre 3 : La Vieille Femme

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Je l'avais vue. A travers les épais branchages de la forêt, je l'avais observée traverser le champ, en simple T-shirt à manche courte, se dirigeant vers l'orée des bois. Mes bois. Je l'attendais avec impatience, mais cette maudite harpie l'avait dissuadée. Peu importe. Elle finira par venir à moi...

La maison de la vieille femme était située à l'exact opposé de la mienne - celle que j'avais déclarée comme la mienne. Elle était située à l'orée des bois, mais de l'autre côté du village, sur le versant opposé de la vallée. Il s'agissait d'une petite maison en bois bien entretenue, entourée par une clôture en bois et une haie de petits sapins. Le jardin devait sans doute être bien entretenu, mais était recouvert par l'épaisse pellicule de neige. Je pénétrais dans l'enceinte de la bicoque, et fut soudain assaillie par une délicieuse odeur de viande mijotant, et la douce chaleur émanant du feu de cheminée. Je me sentais naturellement bien dans cette maison, alors que j'aurais sans doute dû être tout de même sur mes gardes. Mais cela faisait si longtemps que je n'avais plus goûté au confort d'une vraie maison que je ne pouvais m'empêcher de me sentir à mon aise. Je m'étais assise sur un canapé moelleux et quelque peu râpé par le temps, tandis que la vieille dame apportait sur la petite table devant moi des assiettes, et une grande casserole fumante emplie d'un ragoût à l'odeur alléchante.

« Tu baves, mon enfant. Dit la vieille en me regardant d'un air amusé. Je rougis jusqu'aux oreilles, et m'essayais discrètement à l'aide d'une serviette. Mauvaise habitude de loup. De canidé en général, d'ailleurs.

« Merci de m'accueillir comme cela. Commençais-je. Vous êtes apparemment la seule personne chaleureuse de ce village.

Je n'avais en effet toujours pas vraiment digéré l'attitude de ces simples humains envers moi.

« Ne les juge pas trop durement. Les derniers visiteurs que nous ayons eu, il y a deux ans, n'étaient pas... très sympathiques.

Je relevais les yeux, un peu intéressée par son histoire. Des visiteurs pénibles au point de dégouter un village entier des étrangers ? Ça c'était fort.

« Qu'ont-ils donc fait pour rendre ainsi tous les habitants ? demandais-je.

-Au c'est très simple. Ils étaient comme toi.

J'eu un étrange frisson, mais ne compris pas où la vieille femme voulait en venir. Ou plutôt, j'avais peur de savoir où elle voulait en venir. La vieille humaine se recula dans son grand fauteuil, ayant presque une apparence de trône. Elle leva les yeux au ciel et sembla perdue dans ses pensées le temps de quelques secondes. Tendue, j'attendais la suite, prête à bondir.

-C'était des loups-garous.

C'était bien ce que je craignais. Cette vieille humaine en savait beaucoup. Et c'était dangereux pour moi. Je bondis du canapé jusqu'à l'autre bout de la pièce, renversant un siège et bloquant ainsi toute échappatoire à la vieille femme. Qui était-elle ? Une chasseuse ? Les chasseurs étaient des clans d'humains connaissant l'existence des espèces surnaturelles, et les traquant jusqu'à la mort. Mais que faisait-elle ici alors ? Je me transformais en louve, et grognais dans sa direction.

A ma grande surprise, la vieille n'avait pas bougé d'un poil. Elle n'avait pas sursauté non plus, et se contentait de me regarder avec un sourire amusé et des yeux rieurs.

« Du calme, fille de meute. Dit-elle. Si j'avais voulu te faire du mal... et bien je t'aurais laissée aller dans la forêt, tout simplement.

Je cessais de grogner, mais gardais toujours ma position défensive, bloquant l'accès à la porte. Sous cette forme, j'étais plus grande qu'un humain de taille normale. Alors la petite vieille me semblait bien minuscule : mais mon instinct me criait de m'en méfier, et je ne pouvais que me demander quelle puissance se cachait dans un si petit corps. Le petit corps en question reprit :

« Tout d'abord, cesse de me considérer comme une humaine, fille de meute. Mon nom est Célaeno, et si les jeunes dans ton genre connaissaient un peu mieux leur histoire, tu saurais déjà ce que cela implique.

Je frissonnais à l'évocation de ce nom. Un nom profond de sens, emprunt de puissance, aux consonnances grecques. Qu'était-elle donc ?

« Je suppose que ton immobilité signifie que tu n'as aucune idée de ce que je suis. Elle soupira. Triste époque.

Elle releva les yeux, et ses yeux se firent plus brillants.

« Je suis la dernière survivante des trois Harpies. Fut un temps, nous étions vénérées parmi les Dieux par les humains. Mais ils finirent par nous oublier, et les chasseurs par nous traquer. J'ai trouvé refuge en cette vallée reculée il y a si longtemps que je ne saurais dire depuis combien de temps. Mais assez parlé de moi.
Elle baissa les yeux et me regarda, son visage fripé posé sur ses mains squelettiques.
"Il y a deux ans, est arrivée la déesse de la vallée, comme l'appellent les villageois. La fille de la forêt. Une gamine d'à peu près ton âge, qui vit comme une sauvageonne dans la forêt avec sa bête de compagnie.
Je me retransformais en humaine. Malheureusement pour moi, mes vêtements avaient été déchirés instantanément lors de ma transformation, et j'étais désormais entièrement nue, des lambeaux de tissus pendant ici et là. Je tentais tant bien que mal de cacher ma nudité, ne pouvant retourner à ma muette forme animale si je voulais discuter.
"Pourquoi déesse si c'est une simple jeune femme? Et vous l'avez appelée Amazone devant la forêt, non?
"Je vois que les loups sont toujours aussi peu attachés à la connaissance! Grommela-t-elle. Déesse car, eh bien, l'esprit humain est faible. Et disons que son charisme est des plus impressionnants. De plus, elle représente quelque chose que les vieux croutons habitant ce village aiment beaucoup: l'abandon de cette modernité qu'ils haïssent tant pour un retour aux sources, un retour à la vie simple, à la nature. Il n'en a pas fallu beaucoup plus pour qu'ils décident qu'elle était une envoyée de Dieu chargée de protéger la vallée contre la profanation du monde extérieur. Puis, en grommelant. "Sottises!"
Je ne saurais dire si cette dernière parole désignait la désignation de la jeune fille comme protectrice, ou bien le monothéisme des habitants, sûrement mal perçue par une antique divinité Grecque.
"Et... les loups garous dans tout ça? Demandais-je, un peu effrayée à l'idée de la réponse. La Harpie éclata d'un rire semblable au chant d'un oiseau. Mais un vieil oiseau malade. Puis elle reprit:
"Décidément, tu ne connais même pas l'histoire de ta race. Ce sont les loups-garous qui exterminèrent la plupart des Amazones. Ils désiraient visiblement finir le travail.

L'amazone [Tome 1] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant